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Entretien avec Rungano Nyoni, réalisatrice de Je ne suis pas une sorcière

Rungano Nyoni est née en Zambie, a grandi au Pays de Galles, et vit au Portugal !

Je ne suis pas une sorcière est votre premier long-métrage, comment vous est venue l’idée de faire ce film ?

Rungano Nyoni : C’est toujours très difficile de déterminer d’où vient un film exactement.

Un jour, on m’a parlé du conte « La chèvre de Monsieur Seguin ». Cette nouvelle est magnifique : elle parle d’une petite chèvre, attachée à un ruban, qui rêve de parcourir les montagnes. Ça parle de liberté et du prix pour y accéder. C’est devenu une grande inspiration pour moi, tout au long du processus d’écriture.

Mais, je n’avais pas forcément comme but d’en faire mon premier long-métrage, c’est juste qu’à à ce moment-là de ma vie, c’était la seule chose que j’avais envie d’explorer.

Comment avez-vous trouvé votre comédienne principale, la petite Margaret Mulubwa qui interprète Shula ?

Rungano Nyoni : Un pur hasard ! Mon mari faisait des repérages pour trouver les décors. A cette époque, nous voulions tourner sur une péninsule du Nord de la Zambie. Il a pris quelques photos d’elle car elle était sur les décors pressentis. Quand j’ai vu les photos, j’ai pensé que c’était peut-être une petite Shula.

Puis, des mois après, nous avons finalement décidé de tourner le film entièrement à Lusaka.

J’y ai auditionné près de 900 enfants et je n’arrivais à être convaincue par aucun d’eux. Et tout le temps me revenait en mémoire cette photo au bord du lac de cette petite fille dont je ne savais rien.

Nous avons parcouru plus de 5000 kilomètres pour la retrouver ; nous avons montré la photo à tous les chefs de villages alentours. Un d’eux l’a identifiée et nous sommes venus la chercher. J’ai fait un essai avec elle et 3 autres enfants que j’avais pré-sélectionnés. Je n’ai pu la quitter des yeux de toute l’audition.

Je-ne-suis-pas-une-sorciere

Vous avez étudié la direction d’acteur à Londres, est-ce que cela vous a aidée à travailler avec les acteurs de votre film dont la plupart sont des non-professionnels ?

Rungano Nyoni : Mon approche des acteurs, tout particulièrement lorsqu’ils sont non-professionnels, est de leur donner le plus de liberté possible, afin qu’ils fassent leur propre choix. Je ne leur dis pas quoi faire et ils ne doivent pas lire le scénario. Ils sont juste au courant de l’histoire.

Nous faisons des petits jeux d’improvisation à partir de situations données. Je travaille à ce qu’ils fassent leurs propres choix d’action, de façon délibérée et naturelle. J’ai appliqué cette méthode à tous les comédiens du film, y compris Maggie.

Votre film est une satire et comporte des moments très drôles, et ne ressemble pas à la plupart des films africains qui arrivent jusqu’à nous. Avez-vous eu du mal à trouver du soutien pour le faire ?

Rungano Nyoni : Les films africains que nous voyons dans les festivals internationaux sont souvent le reflet du type de films qui sont largement soutenus. Cela crée une spirale d’uniformisation car les financeurs cherchent parfois la sécurité.

Alors que la production africaine locale est par ailleurs beaucoup plus absurde et expérimentale qu’on ne puisse l’imaginer. Lorsque vous proposez un film différent, vous avez à convaincre les financiers de soutenir un type d’humour dont ils n’ont pas l’habitude et avec lequel ils se sentent parfois même très inconfortables.

Heureusement, de mon côté, j’ai eu la chance d’être soutenue malgré tout.

Margaret-Mulubwa-je-ne-suis-pas-une-sorciere

Est-ce que ces camps de sorcières existent en Zambie ou en Afrique, à quel point votre film est proche de la réalité ?

Rungano Nyoni : Les camps de sorcières existent en Zambie et en Afrique en général, mais sous des formes très variées. La croyance en l’existence des sorcières est omniprésente et se manifeste sous de nombreux aspects.

Mais mon film est un pur conte. Il n’est en aucun cas calqué sur la réalité. Si j’avais fait un film réaliste, j’aurais dû montrer les mauvais traitements et les sévices que ces femmes subissent.

Faire ce premier long-métrage a été pour vous une rupture ou bien la continuité de votre travail en courts-métrages ?

Rungano Nyoni : Je croyais que faire un long-métrage serait comme faire un court, mais en plus long. Mais ça n’a rien à voir ! Il faut déployer une endurance incroyable pour arriver à en voir le bout. Certaines choses que j’avais apprises en tournant mes courts ont été bénéfiques, d’autres moins.

Comment avez-vous vécu la première au festival de Cannes ? Le film sera-t-il montré en Zambie ?

Rungano Nyoni : C’est toujours un honneur de montrer son film à Cannes, mais je pense que j’étais trop nerveuse pour vraiment en profiter ! Je ne sais pas encore quand, ni comment, mais je suis très impatiente de montrer le film en Zambie.

ZOOM

Le tournage du film en Zambie

Comment s’est passé le tournage en Zambie ?

Rungano Nyoni : L’enjeu d’une production comme celle-là est d’assimiler la culture et la manière de travailler de chacun. Vous devez avoir une capacité d’adaptation et une attitude ouverte, si vous voulez en tirer le maximum. L’industrie du cinéma zambien est encore très embryonnaire. Mais cela n’empêche pas un véritable enthousiasme !

Le manque d’expérience ne m’a jamais fait peur, si il y a la volonté d’apprendre.

Par exemple, nous avons embauché la manager d’un hôtel pour commencer le casting, alors qu’elle n’avait aucune expérience en la matière. Il a fallu juste quelques heures pour que je lui explique de quoi il s’agissait, et elle a compris et fait le travail très bien et très vite.

Matthias Turcaud