Films / tchad

LINGUI, ode touchante à la solidarité féminine

Ad Vitam

Unies contre le mâ/al(e)

Auteur d'une oeuvre cohérente, toute entière dédiée à l'Histoire et à la société du Tchad, et comprenant à la fois des documentaires et des films de fiction, Mahamat Saleh Haroun revient avec "Lingui, les liens sacrés", un film abouti et poignant sur la solidarité féminine.

Après Une Saison en France, Mahamat Saleh Haroun revient dans la capitale de son Tchad natal pour nous faire partager les tourments d'Amina et de Maria. Amina élève seule Maria, et tente de joindre les deux bouts avec difficulté, lorsqu'elle se rend compte que sa fille est enceinte...


C'est l'occasion pour le metteur en scène et scénariste tchadien de brosser un tableau de la condition féminine à N'Djaména. Il montre comment Maria ne peut plus retourner dans son école, et se fait rejeter par sa communauté à cause de sa grossesse. De même, il souligne à quel point il est risqué de recourir à un avortement. Enfin, son film suggère également à quel point les jeunes filles sont menacées et susceptibles de se faire violer, agresser, harceler.

Cependant, Mahamat Saleh Haroun choisit surtout de mettre l'accent sur la solidarité féminine, qui se traduit ici par des silences, des gestes, des regards et des non-dits. Le cinéaste semble penser que les femmes doivent nécessairement rester solidaires et s'entraider afin de survivre et de régler des conflits dans un monde dans lequel règne le patriarcat et la misogynie.

Pour raconter cette histoire, Haroun opte pour une mise en scène épurée et sobre, sans effets inutiles, avec des plans-séquences qui laissent de la latitude aux acteurs, et dans lesquels l'émotion surgit, souvent discrètement, à distance, sans ostentation. On pense notamment à la scène lors de laquelle Maria et sa soeur se rapprochent malgré leurs différences. Avant d'appartenir à telle ou telle classe sociale, elles sont d'abord femmes.

Le scénario de Lingui, les liens sacrés peut paraître ténu, mais cette simplicité est un atout. Le film s'avère en effet fort, poignant. Il en dit long avec peu de mots, et continue à placer Mahamat Saleh Haroun comme un des réalisateurs majeurs d'Afrique subsaharienne. Il a de plus le mérite de faire des films ayant pour décor un pays très peu montré au cinéma, et à tort, tant le Tchad s'impose comme un pays très cinématographique, avec une lumière et des couleurs incroyables.

Pour finir, il faut parler des actrices : Achouackh Abakar, très touchante et investie dans le rôle d'Amina, la mère, ainsi que Rihane Khalil Allio, soeur de Mounira Mitchala et Salma Khalil Allio, que nous avions déjà interviewée sur ces pages, et qui convainc malgré son inexpérience et sa verdeur. Elle a d'ailleurs été distinguée par le Sotigui Award du meilleur espoir africain. Enfin, on retrouve un compagnon de route récurrent de Saleh Haroun, l'acteur Youssouf Djaoro, avec lequel nous nous étions également entretenu, et qui joue ici le rôle de Brahim. Le chef opérateur Mathieu Giombini, qui avait déjà collaboré avec Saleh-Haroun sur "Une Saison en France" et "Hissein Habré, une tragédie tchadienne", a enfin parfaitement su les sublimer.

ZOOM

Le lingui

Pour définir le 'lingui' qui donne son titre au film, nous laissons parler le réalisateur lui-même : "Je ne peux exister que parce que l'autre existe, c'est cela le lingui, un lien sacré. Au fond, c'est une philosophie altruiste. Ce mot résume la résilience des sociétés confrontées à des choses assez dures."

"Et quand le lingui est rompu, cela annonce le début du conflit. Cette notion de solidarité vient de la tradition. Le lingui tend à se perdre parce que la classe politique l'a dévoyé. Elle oublie le lingui parce qu'elle est souvent animée par des intérêts immédiats et égoïstes, détournant les richesses à son profit alors que ces gens de pouvoir ont été élevés dans les valeurs du lingui."

Matthias Turcaud