Le cauchemar de Darwin de Hubert Sauper
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En décrivant les affres de la mondialisation à travers l'exemple du commerce de la perche du Nil autour du lac Victoria, Le cauchemar de Darwin, film événement, a connu un énorme succès dès sa sortie en salles en 2005. Après sa diffusion, son réalisateur, Hubert Sauper, a fait l'objet d'une controverse qui dure encore. La perche du Nil est un animal effrayant, carnivore, introduit dans le lac Victoria pour une expérience scientifique. Depuis, elle a dépeuplé le lac de ses poissons, et sa chair blanche fait la joie des Européens. Chaque jour, deux avions atterrissent... et repartent avec 500 tonnes de poissons. Contre quoi ? L'énigme dure jusqu'à la fin du film. On ne peut être indifférent après la vision d'un tel film : des sentiments paradoxaux s'imposent. On est plongé dans des décors d'apocalypse : la Tanzanie se révèle une allégorie de l'Afrique où se rassemblent tous les malheurs du monde. Et c'est un sentiment de honte qui surgit d'abord. Celle de contribuer passivement à une gigantesque farce, une mécanique infernale de la misère, le pillage orchestré de l'Afrique, et plus particulièrement de la petite ville de Mwanza en Tanzanie. Les cargos des pilotes russes viennent et partent dans le ciel bleu avec de la richesse et laissent derrière eux quelques prostituées maltraitées, des maladies, et les immondes déchets de ces poissons. Les images sont fortes : une femme patauge dans la vermine, des enfants se disputent le riz chaud, des visages effroyables, tous « esclaves » du poisson. Mais derrière ces images, l'impression aussi de se faire manipuler. Le documentariste et son compagnon ont dû cacher leur activité aux autorités et c'est cette clandestinité qui leur permet de rentrer de plein fouet dans l’intimité des personnages, enfants des rues, gardien de nuit illettré, pasteur illuminé. Une proximité bien partiale qui accule au sentimentalisme et annule tout esprit critique. Habilement construit, la question de l'approvisionnement en armes sur l'aéroport de Mwanza revient fréquemment, de façon lancinante. La réponse suggérée paraît évidente sans pour autant qu'il y ait l'ombre d'une preuve. En réalité, tout pousse à nous faire croire que la misère de la Tanzanie est directement liée à l'exportation du poisson. A l'écran, le visage d'une femme borgne travaillant au séchage des carcasses, en est l'exemple le plus spectaculaire. Ces sous-produits nous sont présentés comme des rebuts ignobles abandonnés à la population tanzanienne. De nombreuses critiques nous les présentent autrement, destinés à l'alimentation animale. Afro-pessimisme, diabolisation ? Que penser des milliers de métiers informels qu'engendre l'industrie du poisson ? Le documentariste ne s'y attarde pas.
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Marie-Alix Saint-Paul | ||
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