ADIEU ZANZIBAR Abdelrazak Gurnah

Romans / Tanzanie

ADIEU ZANZIBAR, le gémissement des résignés

Denoël Voluptés métissées prohibées ?

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Avec un grand sens du romanesque, Abdulrazak Gurnah revient sur une page de l'Histoire douloureuse et complexe, dans laquelle celle avec un petit "h" se mêle subtilement et intrinsèquement à celle avec un grand "H". 

Hassalani est muezzin dans l'une des mosquées de Zanzibar. Un jour, au cours de sa routine matinale, il fait une rencontre étrange. Alors qu'il s'en va à la mosquée avant le lever du soleil, il croise un Anglais juché au sol à demi-mort. D'abord pris de frayeur, Hassalani surpasse sa peur en décidant d'apporter de l'aide au mourant. Il le ramène chez lui, accompagné des quelques personnes à qui il a demandé secours pour le blanc.

Guéri, Matin Pearce manifestera sa gratitude pour la famille d'Hassalani en se liant à elle. Sa visite de courtoisie ne l'empêchera pas de tomber amoureux de Rehana, la sœur de Hassalani. Une histoire d'amour jugée abominable par la société naîtra entre les deux. Pour échapper à cette censure sociale, les deux amoureux quitteront Zanzibar pour Mombasa. Là-bas, Rehana donne naissance à une fille après que Pearce l'ait abandonnée.

Jamila, petite fille de Rehana, se trouve folle amoureuse de Amin, moins âgé qu'elle. Mais leur histoire d'amour est étouffée à cause de la mauvaise réputation qu'on attache à Jamila et sa famille. Rachid, frère de Amin, parti depuis de longues années à Londres pour ses études, veut rentrer pour faire la lumière sur cette histoire de réputation...

Le roman permet notamment de réfléchir à la sexualité entre colons et colonisés : un sujet malséant et tabou à la fois chez les colons que chez les colonisés. Comme le conçoit le narrateur lui-même, la sexualité entre les deux classes sociales dans une époque d'oppression est absente des écrits en cette période. Il n'est donc pas convenable d'en parler, ne serait-ce que d'en évoquer la possibilité.

C'est dans ce "scandale" que naît l'histoire de Jamila. Le lien amoureux de sa grand-mère, Rehana, avec un Anglais porte un jugement sur toute la lignée, et c'est elle qui en porte le poids. Fruit de cette relation interdite, Jamila est perçue comme la fille du péché. L'amour maudit de Rehana amène une exclusion de toute la progéniture. Mais ce qui n'est vu jusque-là que comme la perte d'une famille dépravée va longtemps demeurer la cause du chagrin d'Amin.

Le message de Adieu Zanzibar ne se réduit pas seulement à ce scandale. Entre ce conflit d'idéologie et des us se dévoile la vie débrouillarde d'une Afrique dont la population est livrée à elle-même, la chronologie d'une politique odieuse dont les racines se cachent dans l'avidité des dirigeants, la résignation aveugle des peuples ainsi que toute forme de bannissement admis par la dictature de la tradition. Ces vices qu'évoque le narrateur mettent le sujet de la sexualité dans un contexte particulier, et dénonce, de ce fait, la naïveté de ne porter de jugement qu'en fonction des apparences et des préjugés. C'est certainement le maître-mot de ce roman : les préjugés.

Dans ce roman, la société est racontée de manière remarquable et subtile. Entre plusieurs extraits de poèmes que le narrateur glisse tels des pauses, la vie quotidienne de la « cité Zanzibar » s'imagine comme un accrochage perpétuel. Dans ce monde où la soumission est la seule attitude admise, les histoires d'amours passionnelles semblent n'avoir aucune place surtout si elles sortent du cadre coutumier établi, pire encore si elles traînent derrière elles quelques préjugés immoraux.

Dans une telle société donc, l'expression libre constitue une désobéissance impardonnable. La seule ligne à suivre reste celle tracée d'avance par la morale coutumière, s'en déroger équivaut à une offense. C'est dans ce contexte que l'Amour de Amin envers Jamila heurte la société, le jeune est tenu à respecter ce que trouve logique ses parents et à suivre scrupuleusement leur volonté quitte à se sacrifier. La société, dans ce texte, devient un être cruel qui ne considère pas la souffrance de l'autre, et qui se plaît à se faire obéir peu importe le prix que cela impose.

Logiquement, pour Gurnah, l'épanouissement d'une société passe inévitablement par la voie de l'expression libre et voulue. En chantre de la liberté, Abdulrazak Gurnah veut délier les chaînes de la résignation. Ces chaînes, qui longtemps, étaient nouées par une société conservatrice se servant de la culture pour museler ses membres. On comprend mieux pourquoi le titre original du livre n'est d'ailleurs autre que « Désertion ». 

(Traduction de Sylvette Gleize) 

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Prix Nobel 2021

Le 7  octobre 2021, Abdulrazak Gurnah a reçu le  prix Nobel de littérature  2021 "pour sa pénétration intransigeante et compatissante des effets du  colonialisme  et du sort des  réfugiés dans le gouffre entre les cultures et les continents".

Gurnah a été le premier écrivain noir à recevoir le prix depuis 1993 et le sacre de Toni Morrison, et le premier écrivain africain depuis 2007, lors de laquelle Doris Lessing en a été la récipiendaire. 

Israël Nzila Mfumu

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