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TU MOURRAS A VINGT ANS, conte soudanais d'une grande richesse

Pour "les martyrs de la révolution"

Alors que le cinéma soudanais reste balbutiant, Amjad Abu Alala fait partie des réalisateurs qui incarnent la possibilité d'un renouveau.

Librement adapté d'une nouvelle du journaliste soudanais Hammour Ziada, Tu mourras à vingt ans propose une histoire en apparence simple, celle d'un enfant, Muzamil, à qui des derviches soufis ont prédit une mort prématurée à l'âge de vingt ans. Il évolue alors dans la peur et la privation, raillé et à la marge, sans amis et sans père - ce dernier ayant pris la fuite après l'annonce de la malédiction.

Muzamil peut seulement se consacrer à l'apprentissage du Coran, dans une espèce de longue attente de son décès, émaillée d'interdictions, sans amis ni amusements. Alors que la date fatidique s'approche, le jeune homme rencontre une jeune fille ravissante et pleine de vie, ainsi qu'un photographe ayant beaucoup voyagé.

Sous ses allures de fable contemplative, le film d'Amjad Abu Alala s'avère très dense et riche. Il acquiert en effet une ampleur impressionnante, relevant du mythe voire de l'épopée, et le réalisateur confie d'ailleurs avoir été fasciné par les textes fondateurs comme "L'Epopée de Gilgamesh", "Les Mille et une nuits", ou les récits religieux.

Le film donne aussi à réfléchir sur la répression des êtres, qu'elle soit religieuse ou politique. Le film a été tourné au début de la révolution soudanaise, en décembre 2018, et Alala le dédie "aux martyrs de la révolution". On y retrouve, en plus, une chanson de Mohammed Wardi, devenue l'hymne de cette insurrection populaire.

Une réflexion émerge autour du fatalisme, et du défaitisme. Comment garder espoir, même si certaines autorités religieuses nous prédisent une catastrophe inévitable, ou, par métaphore, même si nous vivons dans un régime oppressant qui semble inamovible et nie l'individu ?

Tu mourras à vingt ans pose aussi d'autres questions : comment se sentir vraiment vivant ? Qu'est-ce qu'une vie réussie ? Doit-on ne pas penser à la mort ? Comment dompter toutes les peurs qui peuvent nous brider dans nos choix ? Les thèmes de la transmission, du lien social et familial, de la paternité ou du désir se retrouvent également.

Pour autant, le film évite l'écueil de la théorie absconse. Au contraire, le film s'avère très sensuel et solaire, comme une contradiction par l'image du funeste présage des derviches soufis. On voit le Nil bleu et majestueux, la région d'Al-Jazirah sublimés par la photo de Sebastien Goepfert...

Intense et intelligent, le long-métrage d'Alala mélange les genres et brouille les pistes, pour accéder à une originalité certaine. Surtout, étant un des premiers films soudanais depuis 1997, alors que le régime d'Omar El-Béchir avait violemment démoli le secteur soudanais, Tu mourras à vingt ans constitue un vrai motif d'espoir.  

ZOOM

Le parcours d'Amjad Abu Alala

Alala a grandi entre le Soudan et les Etats-Unis.

À l'université de Dubaï, il joue, écrit, et met en scène pour le théâtre. Sa pièce "Apple Pies" lui a valu un prix de l'Académie arabe de théâtre. 

Avant Tu mourras à vingt ans, il réalise des documentaires pour la télévision et des courts-métrages remarqués en festivals, tels que "Studio" en 2012, sous la houlette d'Abbas Kiarostami, dont l'influence se laisse également ressentir dans ce premier long-métrage.

Le réalisateur s'inscrit aujourd'hui dans le sillage de Youssef Chahine, dont il admire profondément les films. Il rend de même hommage à Jadallah Jubarra, à qui on doit le documentaire "Khartoum", tourné avant l'instauration du régime islamique.

En parallèle de ses films, Alala s'implique beaucoup avec le Sudan Film Factory, et assure la programmation d'un festival du film indépendant.

Aux côtés d'Hajooj Kuka et de Suhaib Gasmelbari, il représente une vraie promesse pour le cinéma soudanais. Comme il le déclare lui-même au "Point Afrique" : "Le cinéma soudanais est encore à bâtir, mais c'est aussi une chance : au confluent des cultures arabes et africaines, au cœur d'une situation géographique particulière, ce pays a tant d'histoires à raconter, de visages à montrer. Du jamais-vu sur les écrans du monde."

Matthias Turcaud