Films / somalie

LA FEMME DU FOSSOYEUR, le triomphe de l'espoir

La vie envers et contre tout

Étalon d'Or au Fespaco en 2021, "La Femme du Fossoyeur" s'avère puissant, poignant, juste, et révèle un auteur.

Premier long-métrage de Khadar Ayderus Ahmed, La Femme du Fossoyeur raconte la lutte d'un fossoyeur djiboutien pour parvenir à rassembler la somme requise pour financer la dispendieuse opération nécessaire pour sauver sa femme, dont le rein est infecté. Leur fils, d'humeur insurrectionnelle et rebelle, va aussi soutenir sa mère, en l'absence de son père.


Le film paraît très maîtrisé pour un premier long-métrage, et ce bien qu'il n'ait été tourné qu'en 21 jours et qu'il ait réquisitionné des acteurs non-professionnels repérés à la faveur d'un casting sauvage - mis à part pour Yasmin Wardame, la top-model qui s'investit dans des projets humanitaires en Somalie et interprète ici le rôle de Nasra. Khadar Ayderus Ahmed raconte ce drame humain avec simplicité, sans effets inutiles ou superflus, et paraît soucieux de conférer dignité et force à ses personnages. Le film relève du mélodrame, mais, pour autant, il ne cède pas au pathos exagéré ou à la facilité. Beaucoup d'émotion et de pudeur transparaît de certaines scènes, notamment de celles, très réussies et joliment assemblées par un élégant montage alterné, dans lesquelles l'épouse Nasra et le mari Guled racontent leur première rencontre, respectivement au fils et à des passants au coin du feu. 

On apprécie autrement quelques respirations bienvenues - lorsque le couple s'incruste à un mariage par exemple à l'initiative de l'épouse qui s'accapare d'une chèvre et s'offusque lorsque les videurs demandent de montrer un billet d'entrée ; ou la scène lors de laquelle Guled, dont une des chaussures s'est cassée et qui est en train de marcher pour parvenir à son village natal, demande à une femme de lui donner "n'importe quelle chaussure", et, qu'au plan suivant, on le voit marcher laborieusement avec une chaussure à talon rouge très peu pratique. On peut à cette occasion souligner le travail effectué par le monteur allemand Sebastian Thümler.


De manière dépouillée, limpide, Khadar Ayderus Ahmed raconte une histoire de sacrifice, de résilience et d'un amour fou que rien ne peut arrêter - ni la malédiction des deux familles, ni un quotidien très éprouvant de fossoyeur, ni 5000 euros à trouver en urgence pour un rein infecté. Malgré l'omniprésence de la mort, la vie, toujours, semble finir par triompher, immanquablement. Le chef opérateur finnois Artuu Peltomaa signe, enfin, la lumière très inspirée du film, qui magnifie les acteurs très crédibles dans leurs rôles respectifs, et octroie une belle ampleur à cette histoire.

Malgré une fin ouverte qui peut laisser un peu sur notre faim, La Femme du Fossoyeur reste un film intéressant, touchant qui donne envie de suivre attentivement les prochaines productions du réalisateur et scénariste finno-somali Khadar Ayderus Ahmed.

ZOOM

Khadar Ayderus Ahmed

À 16 ans, Khadar Ayderus Ahmed s'installe en Finlande avec sa famille en tant que réfugié.

Il y écrit en 2008 le scénario du court-métrage "Citizens" de Juho Kusmanen et y a réalisé plusieurs courts-métrages remarqués dont "The Night Thief" en 2017. Il ambitionne de raconter la Somalie de manière authentique, de "raconter sa propre version des Somaliens, avec humanité et dignité". Même s'il se passe à Djibouti, "La Femme du Fossoyeur" a été le premier film à représenter la Somalie aux Oscars.

Il raconte la genèse du projet : « L'histoire a été inspirée par un événement réel qui s'est produit dans ma famille il y a dix ans. Le bébé de mon frère est décédé et nous avons eu un rituel funéraire islamique. Le processus a été long et très épuisant. Le jour des funérailles, mon frère aîné m'a demandé si je me souvenais à quel point il était facile d'enterrer quelqu'un en Somalie. J'ai répondu : non. Il m'a dit qu'il y avait toujours une équipe de fossoyeurs devant les hôpitaux qui faisaient le travail en deux heures ! Juste comme ça. Ensuite, ce personnage de fossoyeur m’a littéralement hanté. Il m'a suivi partout jusqu'à ce que je décide de m'asseoir et d'écrire à son sujet. Pour lui donner une voix. »

Matthias Turcaud