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Films / Sénégal

MOSSANE de Safi Faye, un chant d'amour dédié à la femme africaine

Spécialiste de la culture sérère, Safi Faye, la «première» des cinéastes africaines, a consacré huit années de sa vie pour réaliser Mossane, projeté au Festival de Cannes en 1996.

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Seul film de fiction de la documentariste sénégalaise formée à l’Ecole Lumière Safi Faye, Mossane part d’une légende, invoque esprits et divinités tout en s’ancrant dans la réalité du village de Mbissel en pays sérère, dont elle rend compte des us et des coutumes.

Si Mossane est donc officiellement de la « fiction », on y perçoit l’attention répétée à la religion des Sérères, objet déjà d’une thèse de doctorat de la part de la réalisatrice Safi Faye, de leur cadre comme de leur mode de vie, des traditions qui régissent leur société et qu’on retrouve ici : la promesse de mariage conclue dès la naissance de l’enfant entre deux familles, les hommages et les dons rendus au bras de mer contigu comme à un baobab altier qui trône en monarque, la dot, la partition des griots danseurs et saluant leurs financeurs lors des cérémonies de fête, le rôle toujours subordonné des femmes.

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Cette matière réelle entoure une histoire simple, inspirée d’une légende et bâtie autour d’une irradiante jeune fille à laquelle Magou Seck prête ses jolis traits et dont la séduisante beauté est encore rehaussée par la caressante lumière de Jürgen Jürges, directeur de la photo de Fassbinder et qui a consciencieusement anticipé  le tournage pendant deux ans aux côtés de Safi Faye pour appréhender les conditions de luminosité, les couleurs de Mbissel et se préparer de manière optimale.

La légende affirme que « tous les deux siècles naît une jeune fille dont la beauté est telle qu’elle ne peut connaître qu’une destinée fatale », pour reprendre les propos de la réalisatrice. Le personnage éponyme de Mossane est charismatique et porte le film, non seulement par sa grâce, mais également par son caractère, sa détermination, son courage et son étonnante maturité comparé à ses « quatorze hivernages ».

Mossane, à l’instar des précédents documentaires ou « docu-dramas » de Safi Faye ne se contente pas d’enregistrer simplement le réel. Depuis l’image inaugurale de la jeune fille vue de loin se baignant dans l’eau, le tout transcendé dans des couleurs flamboyantes, et acquérant d’emblée un statut allégorique, le film accède au mythe, à la parabole, en adéquation avec la légende qui l’irrigue.

Un appréciable lyrisme et une belle poétisation viennent aussi apporter une non négligeable valeur ajoutée. Le lien fort avec la nature, l’aspect contemplatif de certaines séquences tout comme certains dialogues non avares en métaphores viennent dans ce sens.

La poésie présente dans le film peut aussi prendre la forme d’un dépouillement tout aussi simple que rayonnant. A son frère malade Mossane déclare ainsi : « Nous nous doucherons, nous courrons. Le soleil et le vent nous sécheront. » Le mariage entre « réalisme » et poétisation s’avère très réussi.

En filigrane Mossane de Safi Faye pose la question des traditions souvent étouffantes dans le cadre plus étriqué qu’un corset d’un village comme celui de Mbissel. Les marabouts et autres sacrifices s’opposent à la mondialisation galopante, évoquée discrètement mais tout de même présente, le promis de Mossane travaillant par exemple au Concorde Lafayette et des photos de lui apparaissant.

Malgré sa trajectoire tragique, le film n’est enfin pas exempt d’humour, le clivage entre des mondes différents étant parfois illustré de façon drôlatique, comme à travers cette phrase d’un père capable seulement de prononcer la première syllabe du mot « agronome » et dubitatif à l’idée que son fils ait embrassé ce cursus universitaire-là : « Tant d’années passées à l’Université pour devenir paysan ! ».

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Safi Faye, une icône et un modèle pour nombre de réalisatrices en Afrique

Pionnière, Safi Faye montré la voie et éveillé des vocations.

Elle a réalisé en tout treize films : La Passante (1972), Revanche (1973), Kaddu Beykat (Lettre paysanne) (1975), Fad’jal Goob na nu (La Récolte est finie) (1979), Man Sa Yay (1980), Les Ames au soleil (1981), Selbé et tant d’autres (1982), 3 ans 5 mois (1983), Ambassades Nourricères (1984), Racines noires (1985), Tesito (1989), Tournage Mossane (1990) et Mossane (1996).

Elle s’est surtout intéressée au monde rural, à l’émancipation de la femme comme à l’indépendance économique et au poids des traditions, le tout en pays sérère.

Matthias Turcaud

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