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DES PAPIERS POUR TEMOIGNER au Centre Texaf Bilembo

Des dessins originaux et incisifs

Du 15 avril au 30 juillet 2021, le centre culturel Texaf Bilembo à Kinshasa met en lumière trois artistes qui prennent le pouls de la société congolaise, avec un dénominateur commun : des encres colorées et du papier comme support. 

Situé avenue Colonel Mondjiba dans le quartier de la Gombe, le centre Texaf Bilembo entend collecter les "traces" des artistes, comme l'indique le terme "bilembo" en lingala. Créé en 2013, il se trouve dans une usine textile désaffectée de plus de 1000 m2. Ce grand espace permet d'ailleurs de valoriser de manière optimale les artistes exposés, leur laissant toute la place requise pour s'exprimer et être entendus.

L'exposition "Papiers de société", que le centre abrite actuellement, réunit trois artistes : Kura Shomali, Raymond Tsham et Steve Bandoma. Tous trois ont donc choisi le papier, mais, comme l'indique Kura Shomali, le "papier" a de très nombreuses fonctions et connotations, très opposées : "Le même papier, on en fait de grandes sculptures, on l'envoie par lettre pour draguer, pour faire tomber les gens amoureux. C'est ce papier aussi qui fabrique les présidents, les minsitres, les ordonnances, les lois ! Et n'oublie pas, le papier, on va aux chiottes avec !"

Kura Shomali propose des "instantanés" ou des scènes de vie "prises sur le vif" - c'est d'ailleurs ainsi qu'il travaille, composant des esquisses dans la rue, dans des bars ou des lieux de cultes grouillant de vie. Ses dessins en disent long sur le Congo, parfois avec humour, comme "La deuxième vie d'une Peugeot en Afrique" (2016), ou légèreté, à l'instar de "Blues converse" (2020), au titre malicieux, ou "Vespa" (2019), qui rend hommage à une célèbre photographie de Seydou Keita.

D'autres charrient plus de gravité en revanche, à l'image du "Banquier de la rue" (2013), de "Katanga Business" (2019), ou de "Prisonniers" (2020), sur les conditions indécentes des travailleurs miniers, nous alertant sur les dysfonctionnements, les anomalies, les contrastes délirants ou les injustices innommables de la société qu'il dépeint. Il s'agit essentiellement de la société congolaise, kinoise en particulier, mais pas uniquement, comme en atteste "Mao" (2016) ou "Trump le renégat" (2020), caricature marquante et volontairement criarde.

Toutes ses compositions interpellent en tout cas par un usage de la couleur tout sauf timide, et un vrai parti-pris artistique qui évite tout "réalisme" plat, bien que son oeuvre nous renvoie évidemment et très directement au réel. 

Raymond Tsham, lui, utilise le stylo Bic. Il entend surtout valoriser l'immense patrimoine culturel et artistique du Congo, en faisant revivre les chefs-d'oeuvre lomba, songye, bushoong, hemba ou tembwa. À ses yeux, les statuettes traditionnelles ne jouissent pas de la considération dont elles devraient légitimement faire l'objet. Tsham renouvelle notre vision des choses, à la manière de son "Christ noir" (2013).

Mur-de-lamentation-Raymond-Tsham

"Mur de lamentation" de l'artiste congolais Raymond Tsham.

En parallèle, il rend aussi hommage à Matisse, Picasso ou Brancusi. En 2018, sa "Rencontre des cultures" (2018) imagine une rencontre plutôt cocasse et inattendue entre une statuette traditionnelle et le ballon gonflable en forme de chien de Jeff Koons, comme une invitation à ériger des ponts entre différentes écoles artistiques, même si elles semblent complètement aux antipodes. 

Enfin, le troisième artiste exposé, Steve Bandoma, réalise des dessins incisifs et percutants qui épinglent la société de consommation ou l'occidentalisation systématique et l'aliénation maladive qu'elle engendre. Ses œuvres sans concession ne peuvent pas laisser indifférents et contiennent à chaque fois une coloration politique, comme "Urgency", "Urgency 2" ou "Treasure" (2020).

Reine-Zinga-Steve-Bandoma

Reine Zinga de Steve Bandoma.

Bandoma sait très exactement pourquoi il dessine ; et son style très particulier s'allie à un sens certain du raccourci frappant et de l'image choc, trouvant facilement des détails ou des condensés qui, fatalement, interpellent.

La série dans laquelle Bandoma propose des portraits de figures iconiques de l'Histoire, en les modernisant cependant, et en les associant avec des émoticônes issus des réseaux sociaux ou des plateformes de communication comme What's App se révèle cependant plus comique et insouciante. 

ZOOM

Texaf Bilembo, un centre culturel et éducatif

En plus de sa vocation artistique, le centre culturel Texaf Bilembo répond également à une vocation éducative.

Chaque année, 6000 ateliers pédagogiques y ont lieu pour les élèves des nombreuses écoles partenaires. Les ateliers "Identité culturelle", "Biodiversité : forêts et aires protégées" et "Agriculture" sont notamment proposés.

Le centre entend notamment sensibiliser la jeune génération vis-à-vis de l'environnement, et l'alerter contre la déforestation, le braconnage ou l'orpaillage, et l'exhorter à trier les déchets.

 

Matthias Turcaud