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Romans / République Démocratique du Congo

NOIR DE SANG, un récit qui traverse les siècles

Presses Universitaires de Lubumbashi Quand le présent manque de passé, il déshérite l'avenir

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Noir de sang aborde le sujet si périlleux et douloureux de l'esclavage.

 

Cependant, loin de remuer le couteau de la plaie, il invite bien plutôt à la réconciliation, et la réappropriation de l'identité perdue.

Gray Kanteng n'est pas en reste, ce poète docteur est ce qu'on pourrait appeler sans jeu de mots un auteur fécond ayant une grande considération pour le passé. De lui, on lit et rumine encore quelques vers de Les échos et les mots, une poésie en prose qui fait vibrer les fibres sensuelles de tout être doué de raison.

En griot moderne, il nous revient avec un sujet aussi terrible que nécessaire, Noir de sang traite de la période de l'esclavage par un récit romancé aux allures désolantes et révoltantes.

Cette fiction historique retrace toutes les péripéties par lesquelles Salanga, chasseur habile et fils de notable de Gbela, est passé. Comme Ulysse, ce jeune homme intrépide veut faire un « bon » voyage ou plutôt assouvir ce désir qui le brûle de l'intérieur que seul le rêve palpé du doigt pouvait apaiser, rêve duquel même la beauté de sa prétendante Urembo (qu'il devrait épouser dans les prochaines semaines) n'a pas pu détourner.

Gray-Kanteng

Un voyage qui s'annonçait « bon » se transforme en un périple infernal. Lui qui est de sang noble se voit réduit en esclave, trahi par son frère malveillant Tipo qui commerce avec les trafiquants arabes.

Ce récit est d'une narration simple et les mots sont soumis aux caprices du scalpel, souci puriste de la langue française bien écrite. Gray Kanteng y concilie l'esthétique du langage, les accommodements et la rudesse de l'histoire.

Par tons divers, le romancier nous y décline toute une gamme d'émotions intenses, et nous fait découvrir toute une galerie de personnages fort convaincants.

Citons d'abord Tipo, ce traîtreux commerçant aux allures d'agneau jouant le médiateur entre son village et les arabes ; Asila, le loyal esclave et ami de Salanga, jadis son maître, qu'il continue à servir avec le même dévouement ; Urembo, visage que nul n'oublie, compagne fidèle, séparée dans le temps et dans l'espace de son amant de qui elle porte un enfant.

Citons également le notable, père de Salanga, incarnation la plus accomplie d'un père bienveillant et fier de son fils ; et enfin Mastaki, beau-frère de Salanga et frère de servitude qui va mourir de choléra et sera jeté à l'eau sous les yeux impuissants de ses congénères.

Que de tableaux saisissants de quelques êtres au destin commun, vivant encore simplement grâce à l'espoir de la liberté à l'horizon bien avant que le choléra s'en mêle, chamboule tout et laisse place à la plus navrante des désolations : la mort de Mastaki jeté dans les flots le cœur battant encore, mais aussi celle de ce fils de notable, fort de son espoir, qui a échappé à l'asservissement en passant son âme à gauche.

Noir de sang met à l'épreuve la sensibilité du lecteur et le soumet à la tentation de vouloir deviner la suite des événements, mais à chaque fois confondu et laissé en haleine.

On aimerait être témoin de l'amour entre Salanga et Urembo, contredire le verdict royal. On aimerait participer activement à la justice populaire qui étonnamment rend un verdict plus sage. On aimerait venger cette femme esclave violée deux nuits de suite par le même bourreau et de qui elle va porter un enfant.

Gray, par ce récit, vient nous montrer certains aspects méconnus ou inconnus de cette époque troublante. L'erreur était partagée. L'ennemi de l'homme noir avant d'être l'homme blanc, ce fut d'abord l'homme noir lui-même. C'est lui qui a facilité tous ces abus, ce commerce illicite.

Le romancier ne laisse rien où l'encre passe et repasse, avec la précision d'un sculpteur, il taille, modèle, (in)forme, accuse, défend. (Très) engagé, il se révèle comme humaniste en traitant aussi délicatement un sujet si dérangeant.

Ce roman est aussi empreint de lyrisme, une poésie aux mots transpirant l'amertume :
« Le soleil et le jour ont décliné sur moi.
La nuit est tombée pour obscurcir mes pas.
Où irai-je ?
Comment désormais trouverai-je mon chemin ? » 

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Trois questions pour Gray Kanteng

Voici un extrait d'entretien avec Gray Kanteng, invité le 24 avril 2021 dans les Lectures étoilées, Club de lecture de l'Institut français de Lubumbashi sur le thème : « La lecture vue par un écrivain » :

Pourquoi traiter sur un sujet aussi vieux comme le monde « l'esclavage » ? Qu'est-ce qui le rend moderne ?

Gray Kanteng : L'esclavage n'a jamais été aussi actuel qu'aujourd'hui. Il prend des formes nouvelles, quand le plus fort s'acharne sur le plus faible, le plus riche sur le moins nanti, le mieux pensant sur le moins éclairé. La forme n'est plus la même, mais le vice humain de la domination, de l'asservissement semble demeuré intact. Du coup, revoir dans le prisme de l'histoire le passé tragique de l'esclavage sonne particulièrement vrai à ce jour.

Docteur Gray, qu'attendez-vous d'un livre : qu'il console ou qu'il dérange ?

Gray Kanteng : Un livre, c'est d'abord une lecture, que j'espère belle pour celui qui s'y plonge. Je tiens donc d'abord au côté esthétique de l'écriture. Ensuite, pour parler de Noir de sang, puisqu'il s'agit d'une fiction historique, l'effet du livre sur le lecteur est censé être le même que celui que l'histoire inspirerait à qui la parcoure. Il peut donc être les deux : dérangeant ou consolateur, tout dépend de ce qu'on y cherche.

Griot moderne, humaniste, poète docteur, poète engagé, etc. que de sobriquets que l'on vous donne. Eu égard à tout ça, comment vous définiriez-vous ?

Gray Kanteng : Un homme à la quête du beau et désireux de le partager avec les autres.

Abel Bukasa

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