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BALOJI, le maestro congolais

Bella Union

Le poète fait valser un nombre de genres stupéfiant

Actuellement en tournée, le rappeur belge d'origine congolaise Baloji a marqué l'année passée par son quatrième album, "137 avenue Kaniama", très original et séduisant. 

Roi des mélanges, gourmand en fusions imprévues, Baloji convoque ici à la fois le ndombolo, le highlife, le chimurenga, le soukous, la musique électronique, le hip-hop, le funk, l'afrobeat, le jazz et l'afrotrap !

Le rappeur s'inspire à la fois de la rumba du Congo, du bikutsi du Cameroun et de rythmes du Zimbabwe, tout en laissant une part belle au texte, ciselé et bien senti, serti, qui plus est, de rimes inspirées, et de jeux de mots heureux. Le chanteur se montre d'ailleurs très bibliophile, citant Flaubert ou Dany Laferrière.


Avec fougue, envie, et une nécessité tangible, Baloji laisse entendre sa voix qui questionne l'immigration, l'identité, l'injustice, les différences de richesse béantes, l'exil et l'aprêté des mégapoles sans âme. Chez lui, "l'exilé intérieur" s'accroche à son radiateur, et un entretien d'embauches devient "un entretien d'embûches" !

"Les éclaircies sont des fissures
Dans un plafond goudronné
Encaisser le choc thermique
Echanges d'amabilités
Pour fondre la glace, moi c'est Aymeric
Buyomba enchanté
Mon prénom catholique
Est un passe-droit à ma couleur
Dans les familles à salaire unique
On fait du 5 euros de l'heure"
(Extrait de "L'Hiver indien")

Baloji s'approprie et glane des paroles entendues ici ou là, à l'image des expressions "on est ensemble" ou "c'est comment" - typiques du Cameroun ; des paroles figées qu'il revisite ou revitalise ; il recueille différentes voix et semble comme jouer différents personnages au fil de ses quatorze compositions très travaillées, et théâtralisées. S'il parle de blessures très intimes, Baloji octroie ainsi à son album une couleur fortement universelle.


Mystique, envoûtant, "137 avenue Kaniama" se fait également politique, en dénonçant notamment le néo-colonialisme toujours si brûlant, et, notamment, "Papa Bolloré". Tout en affichant une maîtrise assez souveraine - en termes de structure et de composition -, Baloji ne semble pas s'être vraiment fixé de limites.

L'émotion se mêle à la fête, l'euphorie à la gravité dans un mélange très complet et détonant, celui, sans doute, de la maturité, qui frappe par sa densité et le nombre ébouriffant de ses idées et trouvailles.

Dans l'ambition des paroles, et l'écriture sophistiquée, on peut penser à MC Solaar, mais, en fin de compte, Baloji ne ressemble qu'à lui-même, avec ses textes et sa musique aussi personnels qu'investis.


ZOOM

Vers le cinéma

Alors qu'il vient de réaliser son premier court-métrage "Kaniama Show" - qui s'apparente à une parodie de la télé de propagande en Afrique -, Baloji va bientôt passer au long-métrage.

A travers ses clips, on voyait déjà à quel point le poète s'intéresse au visuel, et ce passage vers le septième art n'est donc qu'à moitié une surprise.

On le retrouvera également comme acteur dans "Binti", le premier long-métrage de Frederike Mingom, dont le tournage va débuter le 16 juillet prochain ; le film parle d'un père - incarné par le chanteur -, et d'une fille menacés d'expulsion en Belgique, à travers les yeux de la fille qui tient aussi un vlog.

C'est la propre fille de Baloji, Bebel Tshiani, qui joue le rôle.

Matthias Turcaud