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NAI-JAH, ou un appel à la floraison du Nigéria

Rencontre avec Mahakwe Wadike, meneur du groupe Nai-Jah, à l'occasion de la sortie de son album "Masquerades".

Comment le goût de la musique vous est-il venu ?

Mahakwe Wadike : Le goût de la musique me vient de mes parents et de mes racines nigérianes.

Ma mère faisait un peu de guitare et du chant, j’ai commencé à en jouer en suivant ses conseils. Mon père, grand fan de musique et surtout de reggae, écoutait les albums roots allant de Bob Marley à Jimmy Cliff, en passant par Third World, Gregory Isaacs, Lucky Dube, et plein d’autres.

Le Nigéria est un pays où la musique bat son plein et pendant mon enfance, à l’école ou avec les amis, la musique et les fêtes ont toujours été une partie importante du quotidien.

Comment votre groupe a-t-il choisi le nom "Nai-Jah" ?

Mahakwe Wadike : A vrai dire c’est un ami ici en France qui l’a trouvé avant que je ne forme le groupe.

Les Nigerians en langage familier font référence au pays en l’appelant “Naija”. Le Nigéria étant un pays très religieux au point où c’en est parfois dérisoire, tout est remis entre les mains de Dieu : un malade, un examen, toute réussite et tout malheur.

Le mot “Jah” fait référence à Dieu. Le jeu de mot “Nai-Jah” signifie "allons-nous, Nigérians, attendre un miracle de Dieu pour qu’Il nous sorte de la misère et de la corruption ou allons-nous prendre notre pays entre nos mains pour avancer ensemble et le faire fleurir ?"

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Pouvez-vous nous parler de votre premier EP "A few miles away"; sorti en 2012 ?

Mahakwe Wadike : Notre premier EP “A few miles away” est le premier aboutissement du travail du groupe. À cette époque, nous étions trois (batterie, soubassophone et guitare). Ce disque reflète nos premiers pas, avec déjà un message et des revendications comme le titre “Dem burn” sur le réchauffement climatique our sur le continent africain, terrain de bataille pour énormément de pays qui cherchent leur part du gâteau.

En 2015, vous avez signé "Soldier Man", pouvez-vous également nous dire quelques mots à son sujet ?


Mahakwe Wadike : "Soldier Man", notre 2ème E.P sorti en 2015, est une volonté de notre part d’étoffer un peu plus notre musique. Contrairement au 1er E.P, nous avons rajouté une guitare électrique et mis en place une collaboration avec la Quincaillerie Orchestra sur le titre “What shall be blessed”.

Des titres plus revendicateurs comme “Repatriate your dollars” ou encore “Raging Fever” viennent appuyer le fait de vouloir transmettre un message dénonçant la corruption au Nigéria et celle de beaucoup de gouvernement africains malheureusement. Je voulais raconter mon vécu au Nigéria.

En 2017 sont sortis les deux albums "The Time has come" et "Dub Kingdom", en collaboration avec Alpha Steppa. Comment ces deux albums consécutifs ont-ils vu le jour ?

Mahakwe Wadike : Sur l’album de 2017 de Alpha Steppa “3rd Kingdom” et sa version dub “Dub Kingdom”, je signe deux titres, “Time has come” et “Ancient Tribes”.

J’ai rencontré Alpha Steppa en 2016 au Dub Camp Festival à Nantes. Je jouais avec Dub Addict Sound System et pendant les balances, nous avions discuté et échangé nos contacts. Quelques mois plus tard, ces deux titres ont vu le jour et se sont retrouvés sur son album en 2017.

L'année dernière, on a pu découvrir "The Great Elephant", toujours co-réalisée avec Alpha Steppa. Pouvez-vous évoquer aussi cet album-ci ?


Mahakwe Wadike : Cette album avec Ben (Alpha Steppa) était une volonté de notre part de mettre en avant un album contestataire nous permettant d’évoquer des sujets qui nous tiennent fortement à coeur : la compassion que l’humain devrait avoir vis-à-vis de tout ce qui l’entoure, le traffic du riz au Nigéria, l’industrie de la fabrication d’armes de guerre et les foires se tenant chaque année dans les grandes capitales du monde pour exhiber ces engins de la mort...

Après la release des deux singles sur “3rd Kingdom”, comme chacun apprécie ce que l’autre fait, on avait cette volonté de faire un album complet ensemble. On avait plus à raconter musicalement et, comme dit plus haut, mettre en avant nos convictions.

Cette année, en mars, va sortir l'album "Masquerades". On vous sent très inspiré et dynamique ! Comment cet album est-il né à son tour ? Pourquoi ce titre, "Masquerades ? "


Mahakwe Wadike : Cet album est le fruit des rencontres avec les différents musiciens qui jouent dans le groupe, musiciens qui sont devenus des amis avec lesquels je partage cette musique et bien plus. L’album est né avec une volonté d’exprimer notre style de reggae teinté par la musique nigériane ainsi que par la présence d’un Soubassophone comme basse.

Le titre “Masquerades” fait référence à deux thèmes : d'une part, dénoncer l’hypocrisie des gouvernements africains (ici le Nigéria) qui ne pensent qu’à leurs propres intérêts. D'autre part, lever le voile sur les entités masquées que l’on retrouve dans beaucoup d’ethnies au Nigéria ; ces entités servent de messagers en nous rapprochant de nos ancêtres. Ce second thème vient appuyer un retour aux sources sous-jacent dans cet album.

A propos du clip de "Hot Town", singulier et gracieux, comment s'est-il fait ? Pouvez-vous nous éclairer sur ses choix formels marqués, notamment le format particulier de l'image, comme sur les conditions de création, les lieux de tournage, puis le travail de montage ? A quel point avez-vous été impliqué dans la réalisation de ce clip, et ses partis-pris esthétiques ?


Mahakwe Wadike : Ce clip est une volonté de mélanger mon présent et ma vision actuelle, avec celle de mon enfance et de mes souvenirs au Nigéria.

Une partie du clip a été tourné au Nigéria. La réalisatrice Cynthia Bitar a souhaité représenter ce parallèle en utilisant le format 16 mm de façon à raconter une histoire comme pourrait le faire nos parents avec de vieilles photos. Nous souhaitions conserver la spontanéité et la véracité des images du Nigéria et du Maroc (comme pour un reportage).

Le slowmotion était un choix esthétique et symbolique qui veut représenter les ralentissements d'une certaine "évolution" et liberté causés par les guerres, corruptions, et gouvernements. Là, il est question du Nigéria mais cela concerne plein d'autres pays.

Nous avons eu la chance de trouver un endroit abandonné. Ces débris de bâtiments au sol représentent ce que la guerre laisse derrière elle...et ce sentiment de dépouillement.

Pourquoi le Maroc ? Parce que, comme la Tunisie ou la Libye, c'est un carrefour pour les migrants d'Afrique de l'Ouest qui fuient par bateau leur pays vers l'occident, imaginant une certaine "liberté".

Ce clip est le résultat d'une collaboration tres étroite entre Cynthia de chez Ynception et moi.

Avez-vous des projets, prochainement, en lien avec le Nigéria ?

Mahakwe Wadike : Le reggae et le dub ne sont pas très en vogue au Nigéria. et l'afro-beat y bat son plein. Mais, effectivement, j’y ai un projet avec une radio locale ainsi qu'avec des artistes talentueux sur place.

Notre site se dédie à la mise en valeur des cultures africaines. Pouvez-vous à ce titre nous citer quelques musiciens sur le continent qui vous ont particulièrement inspiré ?

Mahakwe Wadike : Beaucoup de musiciens africains m’ont inspiré. Particulièrement Fela Kuti que j’écoute depuis que je suis enfant. D’autres nom, King Sunny Ade, Oliver de Coque, Toure Kunda, Lucky Dube, Awilo Longomba ainsi que la magnifique Miriam Makeba et bien d'autres.

A quel point la langue igbo est-elle présente dans votre vie ?

Mahakwe Wadike : Mon père est Igbo mais malheureusement je ne parle pas le Igbo. Je comprends quelques mots. La musique igbo est bien plus présente pour moi, elle représente mon enfance au Nigéria : la radio à fond qui grésille serré dans les transports en commun, les festivités de Noël au village de mon père, les mariages, les enterrements et la joie et la tristesse qui s'y rapportent.

ZOOM

La genèse de "Hot Town"

La chanson "Hot Town", qui fait partie de ce nouvel album, a déjà été révélée. Comment l'inspiration vous est-elle venue pour ce morceau ?

Mahakwe Wadike : L’inspiration Hot Town m’est venue après un voyage en Jamaïque. Je suis resté 4 mois à downtown Kingston dans le ghetto de “Kingston 11”, autrement connu sous le nom de “Waterhouse”.

Quand j’y étais, c’était juste après les évènements à Tivoli Gardens avec Christopher Dudus Coke et il y avait des guerres entre les gangs. J'ai été marqué par mon expérience là-bas et notamment par le fait que, peu importe la dangerosité du lieu, certains des habitants s’y sentent liés.

Matthias Turcaud