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Romans / Mauritanie

ET LE CIEL A OUBLIE DE PLEUVOIR, un livre sublime et bouleversant

Editions Dapper Un authentique diamant

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Le confinement prolongé auquel nous accule le Coronavirus semble propice à lire ; à découvrir, aussi, des pépites (trop) méconnues.

Et le ciel a oublié de pleuvoir de Mbarek Ould Beyrouk devrait faire partie du programme. 

Cet écrivain mauritanien, qui a choisi d'écrire en français, lauréat du Prix Ahmadou Kourouma en 2016 pour "Le Tambour des larmes" sur un sujet voisin, a frappé fort - et dès ce premier roman, publié en 2006 aux éditions Dapper. 

Au centre se trouvent la tension entre d'antiques traditions et l'appel de la modernité, le magnétisme indéfectible du désert, et le chemin qui mène de l'asservissement à la liberté. Il est question de vie, de mort, de désir, de l'aspiration à des sentiments supérieurs, le long d'un récit polyphonique résolument intemporel et transfrontalier, qui prend des allures de conte philosophique et de fable symbolique, de parabole.

Le livre pose des questions essentielles, et très clairement universelles : faut-il se résigner en silence à un sort qui nous brime, sous prétexte qu'on ne peut y échapper, et que telle est notre destinée ? ou au contraire se rebeller, même si cette révolte, fût-elle pleine de panache, devrait immanquablement se solder par une mort douloureuse et cruelle ?

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Beyrouk donne tour à tour la voix à Mahmoud, Lolla, Bechir et finalement Moulay, pour faire entendre cette percutante et si poignante tragédie qui se passe à Leguelb, en plein Sahara, et dans lequel les émotions humaines trouvent une expression paroxystique, intense - la colère comme la haine, la rebéllion comme l'amitié ou l'amour, le dégoût et le désir de vengeance. 

Surtout, Beyrouk exprime ces thématiques indémodables - celles des femmes réifiées, et sans cesse niées ou piétinées ; ou celle du virus de l'instinct de domination qui fait encore bien des victimes -, dans l'écrin d'une langue somptueuse, résolument lyrique, dans laquelle chaque mot s'avère juste et bien placé.

Le romancier mauritanien fait preuve d'un don impressionnant pour mettre en valeur un terme - à la faveur, par exemple d'une antéposition adjectivale inusitée. Il va au but, au nerf, à l'essentiel, pour parler opportunément de ce monde à la fois beau et terrible, violent, magnifique et sans pitié. Pour ce faire, il fait appel à un vocabulaire riche et varié, mais toujours utilisé à bon escient - sans vouloir créer de vains effets, mais seulement pour raconter le mieux possible cette puissante histoire. Belle et puissante, la langue de Beyrouk convient parfaitement à son sujet.

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Pour en donner une idée, voici les premiers mots de Lolla, lors de la première de ses quatre "monologues" : "Je n'ai pas été avalée par les flots. Je n'ai pas offert ma virginité pour calmer les appétits du monstre. Je ne me suis pas courbée devant les sentences du ciel, ni les rafales du zéphyr, ni les injonctions que lancent les imams au petit matin. J'ai refusé mon corps aux certitudes évanescentes d'hier et aux illusions branlantes d'aujourd'hui. Je suis Lolla et je n'appartiendrai ni aux tentes blanches des seigneurs des sables ni au mobilier cossu des citadins parvenus."

Les phrases affirmatives et négativées répétées, le "Je" placé en tête de phrase attestent éloquemment de la grande détermination du personnage, et de son héroïque courage, la conduisant à se soustraire aux désirs concupiscents du terrible Bechir, aussi érectile que tyrannique, et chef des très redoutés Oulad Ayatt.

En plus de "Et le ciel a oublié de pleuvoir", et du "Tambour des larmes" - qui met également en scène une jeune femme très forte, et proche de Lolla -, Mbarek Ould Beyrouk a aussi écrit un recueil de "Nouvelles du désert", publié en 2009 chez Présence Africaine, ainsi que de deux autres romans - "Le Griot de l'émir", sur l'exil d'un griot ulcéré par l'injustice infligée par un émir à son amie Khadija, et "Je suis seul", consacré à la menace djihadiste, et tous deux publiés aux éditions Elyzad, respectivement en 2013 et en 2018.

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Le témoignage d'Elisabeth Daldoul

Les trois romans suivants de Mbarek Ould Beyrouk on été publiés aux éditions Elyzad, sises à Tunis.

Voilà ce que dit de l'écrivain mauritanien leur directrice Elisabeth Daldoul : "Il est l'un de mes auteurs qui est le plus dans l'échange. Certes, il ne modifie pas forcément son texte, mais il entend les remarques, car il souhaite que son texte soit le plus fluide possible. Il est agréable de travailler avec lui, car il a un rapport au temps qui vient tout droit du désert : il n'est jamais en tension."

Matthias Turcaud

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