Albums / mauritanie

BECAYE, hoddu norvégien

Global Oslo Music

Diaspora ou "Diaspoart"

Le musicien mauritanien Becaye Aw, qui transporte avec lui le son de la kora, mais vit depuis trente ans en Norvège livre un album fusionnant sons peuls, gnawas nord-africains, et rythmes populaires norvégiens.

Comment la musique est-elle entrée dans votre vie ?

Becaye : J'ai toujours rêvé, depuis ma tendre jeunesse, de pouvoir jouer le hoddu, la guitare traditionnelle Pulaar. Mais je savais que c'était perdu d'avance, n'étant pas né de parents musiciens. Dans mon voisinage il y avait une troupe de danse et de chant Pulaar Lasly Fouta qui répétait trois à quatre jours par semaine. C'est là que j'ai eu mon premier contact avec la guitare acoustique.


Quand avez-vous décidé de devenir musicien ?

Becaye : Difficile de répondre à cette question. C'est comme si on demandait à quelqu'un quand a-t-il décidé de devenir adulte :). Moi je fais la différence, du moins dans mon cas précis, entre être guitariste, et être musicien. J'ai commencé à jouer la guitare à l'âge de 16-17 ans je pense, et je suis devenu musicien au fil du temps. J'ai développé ma technique à la guitare, j'ai été beaucoup aidé par le fait de pouvoir composer mes propres chansons. Progressivement, j'ai commencé à écrire des chansons et en même temps je multipliais des rencontres avec d'autres musiciens.

Il y a donc une maturité artistique qui se cristallise au fil du temps, c'est dynamique, c'est même perpétuel. J'apprends beaucoup aussi en dispensant des cours de guitare. Je consacre beaucoup de temps à la recherche et au développement de nouveaux styles et techniques de guitare acoustique, cela me procure un immense plaisir.

Comment avez-vous développé votre style ?

Becaye : Je pense que c'est assez naturel ou du moins plus facile de trouver et développer son propre style quand on est autodidacte. D'abord je devais observer un moment de « semi-hibernation » durant mes années d'études en Pologne. C'est une fois installé en Norvège que j'ai vraiment commencé à penser développer un style.

N'ayant plus à mes côtés Baaba Maal et Mansour Seck avec qui je ne jouais que des accompagnements, j'ai senti le besoin de me réinventer, la nécessité d'insuffler à ma guitare une certaine « autonomie », d'avoir une guitare plus « expressive ». Pour cela, il me fallait plus d'originalité et de créativité. J'ai commencé à réfléchir sur d'autres manières d'accorder la guitare, appelées communément « alternate tunings » ou « open tunings ». Seulement moi, je n'avais aucune notion préalable, donc toutes mes recherches étaient purement empiriques dans ce domaine. En plus j'ai fait faire des guitares acoustiques spéciales, avec des quarts de ton.

De quelle manière avez-vous perfectionné votre technique à la guitare ?

Becaye : C'est justement en développant mon style que j'adaptais ma technique au fur et à mesure. La technique fingerstyle (jeu des doigts sans médiator) est essentielle dans le jeu des accords ouverts. Cela exige plus de souplesse et de dextérité des doigts des deux mains. Cela a beaucoup enrichi mon approche. L'accord standard /universel de la guitare (Mi, LA, RE, sol, si, mi) n'est pas toujours le plus approprié à l'adaptation de la musique africaine à la guitare acoustique.


Quels artistes et quelles musiques vous ont-ils/elles particulièrement inspirés ?

Becaye : J'ai été inspiré à la fois par la musique classique Pulaar jouée au Xoddu (lire Hoddou), le Pekaan chant acapella des pêcheurs Pulaar, la musique guinéene des années 70, grâce aux émissions radio de Justin Morel Junior (exemple : Sory Kandia Kouyate, Bembeya Jazz), la musique malienne (exemple : Fanta Damba, Batourou Sekou Kouyate, Bazoumana Cissoko, Salif Keita), Didi Mint Abba, le Blues afro-américain, la musique folklorique norvègienne.

Le slam. King Ibu, grand musicien (guitariste, chanteur, auteur, compositeur) de la diaspora sénégalaise, installé à Las Vegas (USA), est l'un des artistes qui ont le plus retenu mon attention ces dernières années. Il a tourné avec moi en Norvège en 2009 et nous avons après travaillé sur un projet qu'on devait présenter au Festival au désert au Mali en 2011, mais nous n'avons pas pu y aller. Ecoutez la guitare celtique sur l'accord DADGAD. Elle est à bien des égards réminiscente de certaines sonorités Pulaar, Songhai, ou Wassoulou. Rien d'étonnant en fait, quand on apprend que le précurseur Davey Graham, un guitariste folk britannique s'est inspiré d'un joueur de oud marocain.

Vous avez collaboré avec de grands musiciens sénégalais ou maliens, comme Mansour Seck, Baaba Maal, Ablaye Cissoko ou Ali Farka Touré. Quels souvenirs en gardez-vous ?

Becaye : Mansour Seck, Baaba Maal et Mbassou Niang (paix à son âme) ont marqué mes premiers pas dans la musique. J'en étais à mes balbutiements. Je jouais avec eux seulement quand je n'avais pas de cours. Cela me laisse surtout une grande nostalgie. Dailleurs je leur dois mon tout premier passage à la télé.

Ali Farka (Paix à son âme) était invité en 2001 sur un projet pour Oslo World Music. Et j'ai eu l'honneur alors d'être aussi de la partie. Mais notre première rencontre remonte à 1993, lorsque j'ai fait la première partie de son premier concert à Oslo. Après son passage en 2001, nous avons gardé des relations plus personnelles. De très bons souvenirs, mais quand même une tristesse à chaque fois que je relis les cartes de Meilleurs Voeux venant de lui.

J'ai collaboré avec Ablaye Cissoko à travers « Artists in Residence » organisé par Global Oslo Music. Je me rappelle que c'était la première fois que j''utilisais une guitare baritone dans un projet. Et j'étais agréablement surpris. En plus j'ai trouvé Ablaye très génereux et ouvert dans son approche musicale.

Comment cet album a-t-il vu le jour ?

Becaye : L'album est à l'initiative de Global Oslo Music. Et le répertoire présenté ici est un extrait de l'oeuvre musicale du même nom que j'ai présentée au Festival Global Nights #7 pour Global Oslo Music en mai-juin 2019 à Oslo...avec les mêmes musiciens.

Permettez moi de les présenter : Mariama Ndure (née en Norvège de parents gambiens) pour les voix ; Oddrun Lilja Jonsdotter (Norvège et Islande) à la guitare électrique et aux choeurs ; Jo Fougner Skaansar (Norvège) à la basse acoustique, à la basse électrique et contrebasse ; Ibou Cissokho (Sénégal, fils de feu Solo Cissokho) à la kora ; Hans-Petter Skurdal (Norvège) à l'oud ; Sidiki Camara (Mali) aux djembés, au karinyan, à la calebasse, et au shekere ; Jason Nemor Harden (USA) au saxophone et responsable aussi des poèmes et des choeurs.

Jason est basé en Suède. Il n'a pas pu participer à l'enregistrement de l'album. Je dois juste souligner que « Diaspora » est le second album issu de ma collaboration avec Global Oslo Music. Il succède à « Offroad », l'album sorti en 2016, avec comme contenu, le répertoire de l'oeuvre musicale que j'ai présentée pour Global Oslo Music en 2013.


Pourquoi ce titre, "Diaspora" ?

Becaye : « Diaspora » est le nom de l'oeuvre musicale d'où est tiré le répertoire de l'album. Contrairement au sens originel du mot qui définit une dispersion, Diaspora pour moi, c'est la notion de rencontre et d'échanges en mouvement, et dans le mouvement. Diaspora c'est ma rencontre, en tant qu'artiste avec, non seulement la culture et la vie artistique purement norvegiennes, mais aussi et surtout, ma rencontre avec les autres artistes « étrangers » vivant en Norvege».

J'ai voulu, à travers ce titre, mettre en avant l'aspect rassembleur de Global Oslo Music en tant que plateforme, carrefour vers lequel convergent des sensibilités musicales les plus diverses pour aboutir à des créations intemporelles, ces créations qui confondent toutes les frontières géographiques. En fait le titre aurait bien pû etre DIASPOART... juste pour un peu plus de créativité ou d'originalité :)

Qui a imaginé la pochette de l'album ?

Becaye : L'idée de la face de la pochette est venue de moi-même. Sur la couverture on a la photo de l'instrument à quatre cordes que je joue sur le titre « She is coming ». Donc j'ai soumis l'idée au label Global Sonics. Mais le layout de cette belle pochette revient à Global Sonics, en collaboration avec Laverne Wyatt qui a fait le design.

Vous vivez et vous travaillez en Norvège. Comment vous y sentez-vous ?

Becaye : Après mes études supérieures en Pologne, j'ai choisi d'aller vivre en Norvège, pays que j'avais visité pour la première fois deux ans auparavant. Lors de ce premier séjour, j'avais fait la connaissance de deux grands musiciens : Kouamé Sereba, un Ivoirien, et Steinar Ofsdal, un Norvègien. J'ai été très impressioné également par les paysages de la Norvège... pour le froid, j'avais déjà fait mon « stage » en Pologne :). Je me sens heureux et très reconnaissant pour tout ce que je peux donner et recevoir autour de moi.

Quels messages voulez-vous faire passer à travers votre musique ?

Becaye : Avant tout, je pense qu'il y a chez moi, ce désir ou même ce souci, le plus souvent subconscient, de vouloir faire découvrir une autre dimension de la musique africaine, en particulier de la musique Pulaar. Cette volonté de faire passer des messages est née lorsque j'ai commencé à écrire mes premières chansons. J'écris généralement en Pulaar, ce qui limite grandement la portée de mes « messages ». Mes chansons reflètent mes ressentis, mes opinions et mes réflexions sur un sujet donné, ou tout simplement relatent une situation vécue. Il peut aussi s'agir d'une histoire banale ou même amusante. J'aime utliser des proverbes et des adages. Mais les thèmes de fond dans la plupart de mes chansons portent entre autres sur l'injustice sociale, les différents défis de notre vie, notre perception de l'autre. Au delà des textes, je pense que ma musique est, d'une manière générale, le reflet de ma personne et celui de ma manière de communiquer et d'échanger.

Que ressentez-vous quand vous jouez d'un instrument ou que vous chantez ?

Becaye : Je n'ai jamais imaginé, jamais alors, que j'allais un jour pouvoir réaliser ce rêve de jouer la guitare à un tel niveau. Donc un sentiment de grande satisfaction, et pourtant très loin du sentiment de l'accompli... heureusement. Pour la chanson c'est assez différent. J'aurais bien aimé écrire davantage pour d'autres chanteuses et chanteurs.

De quelle manière l'inspiration vous vient-elle habituellement ?

Becaye : D'une manière générale, je m'inspire de mon quotidien, de mon entourage direct, de mes souvenirs d'enfance et de jeunesse. Seulement chez moi, il y a l'inspiration pour la guitare et celle pour les paroles. Ma source d'inspiration s'est beaucoup élargie et diversifiée au fil des années. Je m'inspire beacoup de mes rêves également. Dans la création de mes chansons, tout part en fait de la guitare. Les paroles qui suivent s'inspirent donc des premières notes de la guitare, et ensuite le travail sur la composition et l'arrangement.

Remerciements chaleureux à Becaye Aw, son attaché de presse Soizick Fonteneau, et à Groover, la plateforme grâce à laquelle nous l'avons découvert.

ZOOM

La collaboration avec Global Oslo Music

Comment avez-vous collaboré avec Global Oslo Music ?

Becaye : Tout est parti de ma rencontre avec Malika Makouf Rasmussen, qui est la fondatrice de Global Oslo Music. Malika est une musicienne très appréciée par ses pairs, multi instrumentiste. Elle a à son actif aussi bien des albums que différents projets à travers différentes constellations.

J'ai eu l'honneur de participer alors à quelques-uns de ses projets dont des concerts et quelques pistes sur deux de ses disques. Donc, plus qu'une collaboration, je peux dire que Global Oslo Music et moi avons « grandi et construit ensemble ». Cela a contribué, plus que tout autre chose, à définir ma carrière musicale. Cette collaboration m'a donné, à plusieurs occasions, la possibilité d'inviter des artistes de différents horizons à travailler autour d'un concert, d'un enregistrement ou même d'ue tournée. J'ai fait aussi plusieurs ateliers et masterclass pour Gobal Oslo Music.

Global Sonics est l'extension logique de cette collaboration prolifique. Et le 6 novembre 2020, en est la parfaite illustration. Alors que le monde artistique ne se manifestait que sur les scènes virtuelles, Global Oslo Music organise sur l'une des plus grandes scènes musicales d'Oslo un concert jubilé à mon intention. Une soirée pas comme les autres. La salle est pleine. Les amis sont venus très nombreux participer à la fête. 23 musiciens et 2 poètes passeront à tour de rôle me rejoindre sur la scène. Magique !!! Pour moi cela reste un moment de consécration.

Matthias Turcaud