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SOFIA, glaçante radiographie de la société marocaine par Meryem Benm'Barek

Auréolé de multiples prix, le film Sofia devrait permettre de rendre attentifs aux dysfonctionnements nombreux rongeant la société marocaine, en particulier des femmes comme assignées à résidence.

Pour son premier long-métrage, la jeune réalisatrice Meryem Benm'Barek ausculte les maux de la société de son pays, plus précisément ceux de Casablanca.

L'intrigue choisie, celle d'une jeune fille de famille plutôt aisée accouchant après un déni de grossesse et désignant comme père de son enfant une vague connaissance d'extraction sociale plus modeste, permet d'en brosser un tableau acerbe et préoccupant. 

Tandis que le film déroule son histoire cruelle, sans compromission, on va suivre comment la famille de la protagoniste va gérer cette affaire en s'efforçant de préserver à tout prix sa réputation, jusqu'à la découverte de l'identité du vrai père, que Sofia se résoud finalement à dévoiler avec peine à sa cousine. 


A travers cette trame implacable, tragique, pesante, des réalités sombres et profondes, englobant la société toute entière, affleurent, tout à coup : extrême disparité entre différents quartiers dont les populations ne se rencontrent presque jamais ; tensions sous-jacentes plus que vives entre celles-ci ; ascenseur social quasi inexistant ; corruption bien présente dans l'ombre ; patriarcat toujours aussi dominant ; immuabilité tranquille des mariages arrangés ; tabou de l'avortement et peine de prison en cas d'enfants hors mariage. 

A cela s'ajoute la réification de nombre de jeunes filles dépossédées de leur liberté de décision, ou offertes en appâts, condamnées à se conformer muettement et avec le sourire à une machinerie d'ores et déjà programmée du début à la fin. 


Sur un sujet voisin - un avortement illégal contracté par une jeune femme sous Ceaucescu en Roumanie -, Sofia peut faire penser à cet autre film très puissant, lauréat de la Palme d'Or à Cannes en 2007 : "4 mois, 3 semaines, 2 jours" de Cristian Mungiu. Là aussi, la situation dans laquelle se retrouvaient les personnages féminins principaux servait à révéler une société dans son entièreté, sans fard ni maquillage. Maupassant, non plus, n'est pas très loin.

Conte d'une noirceur aiguë où l'argent a remplacé et la morale et l'amour, Sofia se révèle un film très maîtrisé, poignant et utile, à voir. 

Sorti en DVD, visible sur VOD, le film peut également être vu sur Canal + Afrique actuellement... 


ZOOM

Le parcours de Meryem Benm'Barek

Diplômée de l'INSAS de Bruxelles en réalisation, Meryem Benm'Barek a également suivi des cours de théâtre ainsi que de civilisation et langue arabes à Paris. 

Après quelques expériences de comédienne - en France comme au Maroc, au théâtre comme au cinéma -, elle fait ses premiers pas derrière la caméra. 

Après avoir filmé au Liban, en Palestine et en Jordanie, elle réalise "After shave" qui porte sur le printemps arabe ; le documentaire "Penthesilée", la fiction "Nor". 

Son court-métrage "Jennah", dont elle a également écrit le scénario, se retrouve même en lice pour les Oscars. Déjà, des rapports conflictuels entre une mère et sa fille,  qui devient doucement femme à treize ans, annoncent certaines des thématiques abordées par Sofia

En plus de cela, elle présente au V & A Museum of Childhood de Londres et à la Biennale de São Paulo, une création radiophonique intitulée "How Does It Sound ?".

Parmi les nombreuses distinctions glanées par Sofia, on peut citer le prix du meilleur scénario à Cannes dans la section "Un certain regard" comme au Festival du Film Francophone d'Angoulême ; trois prix aux Journées Cinématographiques de Carthage ; ou encore le Prix spécial du jury au Festival du cinéma méditerranéen de Bruxelles. 

Matthias Turcaud