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BI.BA, les guerriers tendres de Madagascar

... ou perpétuer la voix des ancêtres

A l'occasion de l'album "Experience" du groupe de reggae Bi.Ba, leur chanteur Kazy revient pour nous sur leur et son parcours, faits de patience et d'un labeur jamais démentis.

Il révèle aussi ce qui anime le groupe en profondeur : des convictions bien ancrées, et le besoin de faire passer, sans tarder, certains messages...

De quelle façon la musique est-elle entrée dans votre vie ?

Kazy : De manière assez classique finalement, comme beaucoup d'enfants, la musique a infusé doucement en moi en écoutant la radio et, surtout, au contact des plus grands et des anciens qui jouaient dans le quartier. Peu à peu c'est devenu une évidence et un élément essentiel de ma vie, quelque chose qui pouvait me permettre tout à la fois de m'exprimer et de m'évader.


Comment le groupe  BI.BA  a-t-il vu le jour ?

Kazy : On était une bande de potes qui vivions tous à Antsirabé (Madagascar) et on se voyait presque tous les jours. On se retrouvait à côté d"une vieille maison et on interprétait beaucoup de chansons connues mais qui étaient plutôt des chansons un peu révolutionnaires ou rebelles. On jouait les titres de Mahaleo, Sareraka... (artiste très connu à Madagascar), beaucoup de Mahaleo, car notre guitariste de l'époque était le neveu de Raoul, le guitariste de Mahaleo.

Un jour, nous avons été invités dans une petite fête norvégienne et on a joué une chanson que j'avais écrite et qui s'intitule « Oh Jah ». Après notre petite représentation, des gens sont venus nous dire qu'ils avaient adoré et se demandaient à qui appartenait la chanson... car tous pensaient que c'était une reprise... Le groupe est né suite à ce concert car on s'est dit qu'il nous fallait continuer puisque notre musique plaisait aux gens.

Vous dites avoir choisi le nom "Bingy Band" dont  BI.BA  est l'abréviation, pour évoquer tous les obstacles auxquels vous avez été confrontés. 

Kazy : "Bingy Band" veut dire "bande de guerriers". "Bingy" est un vieux mot africain qui veut dire guerrier au même titre que Congo ou Bongo... Pour nous c'est important de le préciser pour éviter la confusion entre BI.BA et BIBA. Lorsque nous sommes arrivés en France et que j'évoquais le groupe, on me parlait d'un magazine féminin nommé BIBA, ce qui était pour nous très surprenant.

Bi.Ba-groupe

Quelles sont les principales influences du groupe ?

Kazy : On a produit 4 albums et ils sont vraiment très différents musicalement les uns des autres. « Ny Mpanjaka » (2002) enregistré à Madagascar n'est pas forcément le plus remarquable donc je n'en parle pas beaucoup, c'était le début mais déjà les bases de ce que l'on avait envie de faire. Puis il y a eu « Madagascar » en 2011 qui sonnait un peu rock et blues avec, toujours, une touche reggae. « Massavana » en 2016 est un album très roots reggae à la manière de Wailers de Bob Marley. Enfin, dans l'album qui vient de sortir, « Experience », il y a un peu de tout.

Malgré leurs différences, ces disques ont un point commun, la manière dont je chante. Elle ne change pas car je le fais à la manière  "Miantsa", c'est-à-dire un chant avec lamentation, pratiqué par l'ethnie Sakalava dans la région Ouest de Madagascar.

Des thèmes vous tiennent-ils particulièrement à cœur ? Quels objectifs BI.BA poursuit-il ?

Kazy : On aborde beaucoup le sujet de la valeur humaine et du rôle de l'être humain. On exprime toujours cette idée que l'on doit vivre sa vie pleinement car nous ne sommes pas nés sur cette planète Terre uniquement pour suivre ou subir des lois dictées par des gouvernements ou des dirigeants.

Il est important pour chacun de prendre le temps de voir, observer ce qui se passe autour de nous, profiter de la nature, de la vie, de notre famille... Notre philosophie est claire : « Nous méritons de profiter de ce que cette terre nous a offert, la vie, la nature... et c'est à chacun de faire son devoir sans piétiner les interdictions, sans tomber dans les extrêmes ».


En 2011 paraît donc votre premier album, "Madagascar". Pouvez-vous nous dire encore quelques mots dessus ?

Kazy : « Madagascar » est un album à part car j'y racontais et dénonçais beaucoup de choses que j'ai vécues, que j'ai vues personnellement dans mon pays. J'y parlais beaucoup de problèmes politiques, de ce tourisme sexuel qui est omniprésent mais contre lequel les dirigeants ne font pas grand chose. Je parlais également beaucoup des autres problèmes de la société malgache: le manque de nourriture, la santé...

Avec votre album "Massavana" (2016), vous rendez hommage à cet esclave d'origine malgache qui a organisé en 1766 une rébellion sur le navire où il était retenu prisonnier. Comment avez-vous entendu parler de cette figure historique, et comment l'album est-il né ?

Kazy : L'histoire de « Massavana », je l'ai découverte par hasard en regardant un film documentaire, « Le révolté de Meermin ». J'avais déjà entendu beaucoup d'histoires similaires mais celle de Massavana est un peu différente. J'ai vu en direct ce documentaire et c'était passionnant car il y avait un archéologue et un théologiste qui expliquaient en même temps les différents pans de sa vie. A cette époque, je pense que personne à Madagascar n'était au courant de cette histoire et donc, pour la faire découvrir, j'ai décidé d'appeler l'album « Massavana ». Mais, au-delà de cet homme et de son destin, « Massavana » est aussi symbole de force, de courage et de bravoure pour moi.

Ce 15 mai 2020 sort votre nouvel album, "Experience". Pouvez-vous nous le présenter ? Pourquoi ce titre ?

Kazy : L'album « Experience » est à la fois riche en collaborations, puisque nous avons eu la chance d'avoir Balik, le chanteur de Danakil, et Winston McAnuff, la légende vivante jamaïcaine, qui sont venus en guests, et en expérimentations instrumentales avec l'utilisation d'instruments peu habituels ici, comme le Valiha (instrument traditionnel malgache) sur le titre « Que dois-je faire », ou la fusion de styles afro-beat avec un groove latino et un gimmick de guitare typiquement malgache sur « On the Mountain Top »... L'expérience c'est donc tous ces mélanges et surtout ces rencontres qui donnent une saveur musicale totalement différente.

Avez-vous mis longtemps pour l'élaborer ?

Kazy : Je peux dire que oui, car certains titres ont été enregistrés en 2014. Comme cet album ne voit le jour qu'aujourd'hui, on peut effectivement dire que nous y avons passé beaucoup de temps.

En quoi diffère-t-il de vos albums antérieurs ?

Kazy : Il est très différent car nous avons pris le temps de le rendre plus « sunshine »... de lui donner ces couleurs que seul le soleil peut offrir.

D'où tirez-vous cette sérénité, cette douceur et cette force tranquille qui sont les dénominateurs communs de tous vos titres ?

Kazy : Pour être honnête, cela ne vient pas de moi mais de l'être - ou l'âme - qui murmure au fond de moi. Je ne suis là que pour transmettre ce qu'il a envie d'exprimer. Je ne peux pas composer ou écrire quand il n'est pas présent.

Vous avez fait de nombreuses tournées, plus de six cent dates, à Madagascar, en Norvège, en France. Qu'est-ce qui vous plaît sur scène, et dans la rencontre avec le public ?

Kazy : Comme je chante en plusieurs langues - français, anglais, malgache -, parfois on se pose des questions, on se demande si notre message va être entendu et si les choix que l'on a fait pour transmettre l'émotion sont les bons. Mais une fois sur scène, dès que le concert commence, on oublie toutes ces barrières... et « c'est l'âme de la musique » qui domine et qui prend toute la place.

Vous vous êtes produit en solo, mais avez également fait des concerts avec de nombreux artistes comme Alpha Blondy, Julian Marley, Danakil, Jimmy Cliff, Winston McAnuff... Quels souvenirs en gardez-vous ?

Kazy : Il y a deux concerts qui m'ont marqué. Le premier avec Danakil devant plus de 10 000 personnes à la Tranche sur Mer (85). Je n'ai jamais vécu une telle expérience car pour nous, le maximum c'était devant 2 000 personnes. Le deuxième c'était la première partie de Julian Marley. Normalement, je ne devais pas faire ce concert mais le groupe qui devait jouait n'a pas pu venir au dernier moment. Pour le public, cela a été une totale découverte - BI.BA en acoustique qui plus est – mais si j'en crois ce que les spectateurs m'ont dit après, cela a été une bonne surprise.

Que ressentez-vous quand vous chantez et que vous faites de la musique ?

Kazy : N'importe où, dès que je fais de la musique ou que je chante, je ressens toujours cette sensation d'avoir à mes côtés tous mes ancêtres, de les sentir présents pour m'encourager et chanter avec moi.

Remerciements chaleureux à Kazy et son attachée de presse, Géraldine Claudel, du "Bureau de Lilith".

ZOOM

La scène musicale malgache

Comment décririez-vous la scène musicale malgache en général, et à Antsirabé en particulier ? A-t-elle évolué depuis vos débuts ?

Kazy : En toute humilité, à Madagascar, il y a beaucoup de musiciens talentueux, mais il manque une structure pour accompagner les artistes, pour qu'ils puissent se développer, grandir, continuer à valoriser la musique qu'ils font.

A Madagascar, on peut trouver des groupes dans tous les styles musicaux et la plupart du temps ils sont vraiment bons. Antsirabé a toujours été une ville qui produisait des bons groupes et des bons musiciens. Aujourd'hui même, beaucoup d'artistes ou groupes malgaches qui font des tournées internationales viennent chercher leurs musiciens à Antsirabé comme par exemple The Dizzy Brain, Samoela ou Toko Telo...

Matthias Turcaud