Romans / kenya

Peter Abrahams, un grand nom de la littérature africaine

Knopf

Une Couronne pour Udomo de Peter Abrahams nous fait revivre les brûlantes années de lutte anti-coloniale au Kenya et le dilemme : prendre les armes ou la politique.

"Lois would not have noticed him if it had not been for his eyes." (Lois ne l'aurait pas remarqué si ce n'était pour ces yeux.)

Ainsi s'ouvre le roman de Peter Abrahams, sur ces yeux qui sont sans doute ceux de Jomo Kenyatta, nationaliste kenyan qui mena son pays à l'indépendance en 1963. Il était en effet célèbre pour son regard perçant, celui qui terrifia même un instant ses féroces juges lors du procès qui lui fut intenté en 1956 et fut accusé d'être le leader du mouvement armé Mau Mau. Il fut condamné à sept ans de prison, avant d'être libéré en héros à la veille des négociations pour l'indépendance en 1961.

Peter Abrahams fut le témoin vivant de ces années bouillonnantes, où, entre les années 1920 et 1960, entre l'Angleterre et le Kenya, les nationalistes kenyans s'adonnèrent corps et âme à la lutte pour l'indépendance. Mais ce furent également les années d'un grand dilemme : fallait-il prendre les armes pour hâter une indépendance que les Britanniques tardaient à reconnaître ? Fallait-il soutenir les Mau Mau, ces « guerriers de la liberté » (les fameux Freedom Fighters) ?

peter-abrahamsA Wreath for Udomo, qui porte le nom de son personnage Michael Udomo (sous les traits d'un Jomo Kenyatta mi-réel mi-imaginé) nous plonge dans ces années de combat politique, dans un Londres qui frigorifiait des nationalistes sans le sous, tantôt affairés à leur machine à écrire pour tenter de réveiller l'opinion publique, tantôt pris dans les rets charmeurs de belles Britanniques - juste comme Lois; en quête d'Afrique, dans l'attente d'un appel au retour, dans l'incertitude de la décolonisation.

Ecrit en 1956, dans les premières années de révoltes des Mau Mau, Abrahams eut le talent visionnaire d'entrevoir le double déchirement de la lutte pour la décolonisation : celui de l'exil, d'abord, puis que nombre des nationalistes menèrent la lutte depuis leur métropole coloniale, Londres, au risque de longues années de coupures avec leur terre natale.

L'attente de l'exil ne fut pas sans affecter les stratégies politiques à adopter, certains pressés, prenant les armes; d'autres, acquis à la patience, défendant une politique politicienne par la négociation avec l'ennemi.

Peter Abrahams en 1958.


Ces deux tensions portent ce livre qui plaira aux férus d'histoire romancée, et qui donne un portrait sans pareil de la politique en pleine guerre de décolonisation.

ZOOM

Ecrivain prolifique, Peter Abrahams fut aussi le premier auteur sud-africain à pouvoir vivre de sa plume, et ce grâce à Mine Boy : publié en 1946, ce fut le premier roman à parler du système d'apartheid en Afrique du Sud.

La politique, Abrahams la voyait comme un job, sans plus : "Je n'étais pas intéressé par la politique. J'étais intéressé par la liberté." Un éclaireur de conscience, donc. Mais cette politique il la comprenait bien. Dans une interview réalisée en 2011, il nous livre ses pensées sur l'Afrique du Sud, son histoire, ses leaders, sa liberté en héritage :

"Et bien, l'Afrique du Sud a été chanceuse : elle avait un mouvement, un mouvement politique. Pas juste quelques leaders. Ce n'est pas ce qui est arrivé à tel ou untel qui comptait. C'était ce que le mouvement faisait et pouvait faire qui comptait, peu importe ce qui arrivait à un homme, tant que le mouvement continuait. Et c'est ça la force de base de l'Afrique du Sud, c'est que cette liberté est enracinée dans un mouvement, pas dans des personnalités.

L'Afrique du Sud a été encore plus chanceuse d'avoir Mandela. Tout juste comme l'Inde a eu son Gandhi pour mener le Congrès National Indien, et après Gandhi, Nehru. (...)"

A plus de 90 ans, Abrahams n'a rien perdu de son mordant... A méditer certainement.

(Source: Hopeton S. Dunn (2011) "An interview with Peter Abrahams : custodian and conscience of the Pan-African movement," in Critical Arts : South-North Cultural and Media Studies, 25:4, 509)

Anaïs Angelo