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Albums / Kenya

Jaguar, entre ferveur politique et amour fervent. A vous d'écouter !

Charles Njagua Kanyi a choisi l'alias de Jaguar comme nom de scène !

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Si le jaguar est un redoutable prédateur, c'est aussi un animal qui, au sommet de la chaine alimentaire, assure l'équilibre de son écosystème environnant.

Pourquoi Charles Njagua Kanyi a-t-il choisi l'alias de Jaguar comme nom de scène, je ne sais pas. Mais, à voir le contenu quasi-militant de ses chansons, on peut imaginer le chanteur en super-prédateur, prêt à bondir pour défendre la cause des pauvres et des laissés-pour compte – en quête d'un meilleur (éco)système politique.

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En 2011, Jaguar rafla de nombreux prix pour sa chanson Kigeugeu (« celui qui se défile ») : Pearl of Africa Music Awards, 9th Kisima Music, et East African Music Awards. Fredonnez Kigeugeu dans les rues de Nairobi, tout le monde entamera la mélodie.

Le rythme entraînant ne doit pas trahir les paroles bien acérées. Kigeugeu est celui qui se défile, c'est le docteur qui se fait de l'argent sur les morts, c'est la sage-femme qui disparaît avant l'accouchement, c'est le politicien qui se remplit le ventre de promesses laissées lettres-mortes. Alors, le refrain s'entête : « Qui devrais-je croire, quand tous se défilent, ma femme, le pasteur, mon ami, le chauffeur... »

En 2012, Jaguar resurgit avec Matapeli (« arnaqueur »), qui s'ouvre sur un « Merci mon dieu pour m'avoir donné de l'air et un monde gratuit, car si ç'avait été un humain, ça fait longtemps que tout aurait était divisé (et mis à prix). »

Cette fois, les proies sont les politiciens : ceux qui font de leurs électeurs des marionnettes, qui prétendent s'intéresser aux pauvres mais restent esclaves de l'argent ; ce sont les routes qu'on refait pour que les pauvres partent en vacances ; ah, mais où ? Ce sont les campagnes contre la malaria, et les médecins qui font grève et retournent dans leurs hôpitaux sans médicament.

Et Jaguar plein d'ironie scande « Les pauvres s'appauvrissent toujours plus, les riches s'enrichissent toujours plus, applaudissons ces arnaqueurs cruels ! Je sais déjà (qu'en fait) qu'ils se foutent (de nous) » (Maskini atazidi kuwa maskini naye tajiri atajirike zaidi ! Nawapigia makofi nimakatili matapeli nishajua hawatujali !)




Cette année, Jaguar chante l'amour sur Kipepeo (« papillon »). Loin de Matapeli, le clip est comme un hommage à la culture urbaine nairobienne : le shopping, les grosses voitures, la mode branchée jusqu'aux bout des ongles et tout au long de la nuit.

Et une petite leçon d'amour en swahili : Nitakutunza ili unizalie kama samaki sirudi nyuma, « Je te protègerai pour que jamais tu ne pleures, et comme un poisson je ne regarderai jamais en arrière ».

Personnellement, je préfère la ferveur politique de Jaguar à son amour fervent. A vous d'écouter !

Zoom

De Jaguar au Swahili

Jaguar pourrait être le nom et le visage de la méritocratie kenyanne. Il grandit dans la rue, dans les bidonvilles, enchaîne les petits boulots : mécanicien, éboueur... Il raconte que c'est à force de volonté et d'éducation qu'il s'en est sorti, et est devenu l'une des stars les plus riches du Kenya (il n'est plus seulement chanteur, mais aussi businessman).

C'est peut-être ce qui fait de lui un artiste urbain, certes, mais un artiste urbain au swahili parfait. Car comme le répétait mon cher professeur de Swahili à Nairobi « Ce type, il parle bien » ! Ce n'est pas chez Jaguar en effet que vous vous initierez au sheng (argot) de la ville. Au contraire.

L'écrivain et essayiste kenyan Ngũgĩ wa Thiong'o avait déclaré l'anglais langue du colonisateur et a appelé à « décoloniser l'esprit » en écrivant uniquement en swahili (Decolonising the Mind, 1986). Au quotidien, cependant, le swahili semble pris entre deux feux : entre le sheng et l'anglais. Il n'a pas encore muté en pidgin english de l'Afrique de l'Ouest anglophone (celui que vous pourrez entendre chez des artistes nigérians par exemple) mais il reste une langue malléable, mouvante, qui cherche encore sa véritable identité.

Pour l'écrivain (kenyan lui aussi) Binyavanga Wainana, le swahili est une langue en demi-ton :
« In this country, with its many languages, classes and registers, much is said by what is not said. There are many understood ways to address someone: sometimes you shift quickly into English; often you speak in a mock Kiswahili, in an ironical tone, simply to indicate that you are not dogmatic about language, that you are quite happy to shift around and find the bandwidth of the person to whom you are speaking. (…) Kiswahili is just a tool for me, as it is for most Kenyans. An inherited language that hundred million of Africans mutilate. » (One Day I Will Write About This Place, Nairobi : Kwani ?, 2010, pp. 318-320.)

De notre correspondante au Kenya Anaïs Angelo

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