Documentaires / guinée

THIERNO SOULEYMANE DIALLO, la Guinée au cœur

JPL Productions / L'image d'après / Lagune Productions / Le Grenier des ombres

Investi d'une vraie mission

Conquis et impressionnés par son magnifique film "Au cimetière de la pellicule", nous avons évidemment été aussi ravis de nous entretenir avec Thierno Souleymane Diallo. Rencontre avec un jeune réalisateur, très humble mais aussi résolu à apporter sa pierre au cinéma guinéen, et dont la détermination force le respect. 

Comment votre passion pour le cinéma est-elle née ?

Thierno Souleymane Diallo : Elle est née avec la découverte de la salle de cinéma. J’avais à peu près dix ans, et j’ai découvert une salle avec des personnages sur grand écran. Ça m’a fasciné, et, à partir de cet instant, je n’ai jamais arrêté de voir des films, d’aller au cinéma. Je me rappelle même avoir séché les cours pendant un mois où je ne faisais qu’aller au cinéma…


Mais avez-vous des souvenirs précis des films que vous avez vus, enfant ?

Thierno Souleymane Diallo : Je sais que je voyais un grand nombre de films indiens, les films américains ne passant que la nuit. J’en ai vu beaucoup, même si je ne peux pas me rappeler exactement. Ça a continué comme ça, jusqu’à ce que le cinéma que je fréquentais ferme, et que je continue à regarder des films grâce aux vidéoclubs. Bizarrement, c’est comme si j’avais un trou de mémoire concernant ces films, mais j’ai été bercé par eux.

Vous souvenez-vous du moment où vous avez décidé de devenir réalisateur ?

Thierno Souleymane Diallo : Quand j’ai eu mon bac, une possibilité de faire une école d’art s’est présentée. Je l’ai choisie, mais initialement pour la musique. Cependant, dans cette école, au bout d’une année en tronc commun, j’ai découvert le cinéma comme science, et je me suis orienté vers ces études-là.

Qu'avez-vous concrètement appris durant vos études de cinéma ?

Thierno Souleymane Diallo : En Guinée, c'était beaucoup plus de la théorie. À Niamey et à Saint-Louis, il y avait des cours pratiques.  Ce qui était très dommage, en Guinée, où j'ai passé cinq ans à étudier le cinéma, j'ai appris toute l'histoire des cinémas du monde sans jamais apprendre l'histoire du cinéma guinéen. C'est à Niamey que je découvre que le premier film d'Afrique francophone noire est « Mouramani » et non « Afrique-sur-Seine », ce qui explique ma motivation à faire ce film. C'est comme si on m'avait menti durant mes cinq années d'études en Guinée. Or, c'est difficile de construire un cinéma quand on n'a pas de références, et qu'on ne sait pas d'où l'on vient.

Quand vous avez conçu le film « Au cimetière de la pellicule », à quel point était-il scénarisé ? A quel point avez-vous été surpris ?

Thierno Souleymane Diallo : À la base, je savais où je mettais les pieds, je voulais chercher le film « Mouramani ». Je savais que je n'allais pas le retrouver, mais c'était un prétexte. Je savais ce qui m'amenait vers les gens, et quelles questions poser, comme quand j'arrive dans le village. Est-ce qu'ils ont vu « Mouramani », est-ce qu'ils en ont entendu parler. Évidemment qu'ils ne l'ont pas vu, mais quel est le rapport qu'ils entretiennent avec le cinéma, qu'est-ce qu'ils auraient aimé voir sur grand écran. Quand ils me disent que c'est le quotidien du village qu'ils aimeraient voir, et quand on le filme et qu'on projette le résultat, il y a plus de 500 personnes présentes qui viennent voir ce film fabriqué au bout d'une journée. On se dit « Waouh ! », on pouvait bien scénariser, mais on ne pouvait pas imaginer ce scénario où les gens regardent, sont contents de se voir et en rient. Il y avait aussi des séquences bien posées dans le scénario, mais lors du tournage, quand quelqu'un n'est pas là, tout le dispositif change. Je me suis adapté pendant le tournage, comme pour l'article que je trouve à Paris et qui parle de « Mouramani ». Il fallait accepter le réel.

Quand vous découvrez, au cours du tournage, que les archives des films ont très mal été conservées en Guinée, que de nombreuses bobines ont été brûlées et enterrées, que la cinémathèque guinéenne n'existe plus, n'avez-vous pas été trop déçu ou découragé ?

Thierno Souleymane Diallo : Ça fait mal au cœur d'entendre tout ça, mais à la base, je savais déjà qu'on avait sorti des bobines dans les années 2000, qu'on a creusé un grand trou et qu'on a enterré ces bobines, d'où le titre « au cimetière de la pellicule » ; ça, je le savais. Après, la surprise, c'est quand un monsieur que j'ai interviewé me dit qu'il enverrait en prison tous ceux qui ont brûlé ces bobines, parce qu'ils ont commis un « crime ». Ce mot sonne très fort dans ma tête. Je ne pouvais pas attendre à ce qu'on associe « archive » et « crime ». C'est comme aussi ce monsieur, qui me fait visiter le laboratoire de cinéma, et qui me dit avoir la chair de poule, parce que c'est un bijou qu'on a « foutu en l'air ». C'est un « drame ». Ce sont de petits mots, mais qui en disent long sur ce qu'a été le pays, ce qu'il est devenu, avec la destruction des archives.

Comment avez-vous imaginé les séquences avec les étudiants que vous avez rencontrés, auxquels vous demandez le nom des réalisateurs guinéens qu'ils connaissent, et auxquels vous demandez également de tourner des images imaginaires ?

Thierno Souleymane Diallo : J'avais été dans cette école, où je n'avais jamais touché une caméra. Je décide de repartir non seulement pour convoquer l'histoire du cinéma guinéen, dans cette salle de classe où j'étais, mais aussi pour donner un peu de force à ces jeunes, qui, parfois, sont complètement désorientés, et ne savent pas quoi faire. Ils sont dans une école de cinéma sans matériel. Je voulais leur dire que le plus important dans ce métier, ce n'est pas une caméra, ou du matériel, mais c'est ce qu'on a dans la tête, comment vous imaginez des films, comment vous voyez les choses. Le cinéma, c'est un regard, c'est écouter, c'est entendre, donner à voir et à entendre, donc c'est une leçon de cinéma que je voulais partager avec eux, tout en leur racontant l'histoire d'un cinéaste de référence, Joris Ivens, qui est allé à Cuba, mais n'avait pas de caméra. Alors, il a fabriqué des caméras en bois, et il les a données aux étudiants. Malgré ce problème de moyen et de formation, tout se passe dans la tête. C'est dans la tête qu'on monte un film, c'est dans la tête qu'on entend tous les sons, donc il faut être bien préparé dans la tête pour faire ce métier.

On vous sent extrêmement motivé et déterminé dans le film. Où avez-vous puisé cette détermination impressionnante, comment avez-vous réussi à ne jamais renoncer à votre quête ?

Thierno Souleymane Diallo : Déjà, quand j'ai choisi de faire des études de cinéma, mes parents étaient très inquiets. Ils se demandaient comment j'allais gagner ma vie, d'autant plus que le cinéma est une perte de temps, et qu'on vit dans un pays où il n'y a pratiquement pas de salles de cinéma. C'est comme si je m'étais lancé un défi. Voir des films qui ont disparu et qui ont été enterrés, ça me ramène à moi et à mes films. Sont-ils eux aussi appelés à disparaître ? À partir du moment où j'ai choisi un métier qui n'est pas facile, dans un pays comme la Guinée, il faut beaucoup d'énergie, et il faut y aller, qu'importe ce qu'il y a devant. On ne peut pas revenir en arrière, et dire qu'on a eu tort de choisir ce métier.


Votre film a reçu plusieurs prix, au Fespaco, à la Berlinale, à Tarifa. Ces prix vous donnent-ils aussi la force de continuer votre carrière ?

Thierno Souleymane Diallo : Oui, c'est toujours intéressant d'arriver dans un festival. C'est bien déjà d'être sélectionné. Puis, repartir de ce festival tout en étant sur la liste des lauréats, c'est quelque chose de très important. À la Berlinale, j'ai reçu le troisième prix du public. Le public te décerne un prix ; ça, ce n'est pas quelque chose de banal. Au Fespaco, il s'agissait de la mention spéciale du Jury. Même si je n'ai pas obtenu d'étalon, le fait que le jury mentionne ton film comme un film intéressant et important, ça me prouve que je suis sur la bonne voie. À Tarifa, c'est le prix de la coopération espagnole, une mention spéciale. Tout ça dit aussi l'engagement du film, montre que le film leur a parlé, et qu'ils ont eu envie de le primer. Ça me donne en effet envie de continuer, de faire encore des films, et de faire aussi la promotion de ce film-là.

Une projection a récemment eu lieu au centre culturel franco-guinéen de Conakry. Comment cette projection s'est-elle déroulée ?

Thierno Souleymane Diallo :Il n'y avait pas énormément de monde, mais tout de même un certain nombre. Les spectateurs étaient mélangés entre fierté et tristesse. Ils étaient contents de voir un film guinéen très bien fait, mais ils étaient tristes aussi de découvrir comment le cinéma guinéen a été enterré. Ils étaient partagés, mais ils ont vraiment adoré. Des gars m'ont dit « T'as fait un chef d'œuvre », et d'autres m'ont dit « T'as fait un manifeste », ce sont des mots comme ça qui sortaient, et j'étais très content de le montrer en Guinée avant la sortie française.


Des autorités guinéennes ont-elles assisté à cette projection ? Qu'ont-elles pensé du film ?

Thierno Souleymane Diallo :Oui, il y avait un conseiller du ministre, la cheffe de cabinet du ministre, le responsable du cinéma Onacic. Ils ont vu le film. Après, je ne sais pas comment ils peuvent voir les choses, comme c'est un film très engagé politiquement, et ils peuvent ne pas bien le recevoir, comme il parle de l'Etat et du gouvernement dont ils sont les représentants. Mais ils ont quand même aimé, et ils m'ont dit que ça pouvait aider le cinéma guinéen.

Actuellement, le film passe surtout en région parisienne. Est-il prévu d'étendre sa distribution, même dans les salles Canal Olympia en Guinée, ou d'autres salles, en Afrique francophone, notamment ?

Thierno Souleymane Diallo :On peut dire que c'est un film « pauvre ». Pour qu'il soit distribué, ça demande un grand coût. Après, on sait que ça va bouger, il va être distribué dans d'autres salles. On est en négociation avec certains exploitants de salles. Et il y a aussi des négociations qui sont engagées avec les exploitants des Canal Olympia, que ce soit en Guinée, ou un peu partout en Afrique de l'Ouest et du Centre, et on espère que ça va bien se passer. Après, au-delà de ça, on a envie de montrer le film en Guinée, dans les endroits où on l'a tourné, le montrer dans des écoles, des universités, et des quartiers ; partager cette histoire, qui est l'histoire de la Guinée, et qui n'est pas qu'un simple film où j'essaye de raconter des choses, mais qui est un film pour la mémoire, pour les archives, et pour l'avenir de notre pays.

La question du passé et de l'héritage revient souvent dans vos films, comme aussi dans « Voyage vers l'espoir », qui revient sur le « Non » adressé par la Guinée de Sékou Touré à la France de Charles de Gaulle. D'où vous vient cet intérêt pour la mémoire et l'héritage, et quel lien faites-vous entre le passé, le présent et l'avenir ?

Thierno Souleymane Diallo : À partir du moment où j'ai choisi de faire des documentaires, j'essaye de me replonger dans mes souvenirs et dans la mémoire. Avec « Voyage vers l'espoir », je reviens sur l'espoir que les Guinéens avaient, lorsque Sékou Touré a dit « Non » à De Gaulle en 1958. Et en 1984, il y avait aussi de l'espoir, quand le régime socialiste est tombé. En 2009, il y avait aussi de l'espoir, parce que Lassana Conté, qui avait plus de 24 ans au pouvoir, est partir. Mais j'avais l'impression qu'on tournait en rond. A chaque changement de régime, on a de l'espoir pendant un peu de temps, et après on ne sait plus ce qui se passe.
« Un homme pour ma famille » relève aussi d'un travail de mémoire, au niveau de la famille, sur un père qui est mort, mais n'arrête pas d'apparaître, en demandant de faire ceci ou cela. Il y a l'histoire d'une terre et l'histoire d'une vache. Moi, je suis lié à cette histoire à cause de cette vache. C'était important pour moi de me reconnecter à mes ancêtres, en tant que peul. Généralement, le symbole d'un peul, c'est la vache ; donc je voulais en savoir plus sur cet animal, ce qu'il mange, ce qu'il ne mange pas ; mais, en même temps aussi, lui confier une lettre pour mon père, qui n'est plus de ce monde. On voulait lui faire un sacrifice, et égorger l'animal, j'ai donc supposé que l'animal pouvait lui faire passer mon message dans l'au-delà.
Je reste beaucoup focalisé sur ce devoir de mémoire, et ces histoires du passé. Comme je le dis souvent, l'avenir Il faut forcément regarder vers le passé pour construire un avenir solide et radieux.


Actuellement, vous travaillez sur un documentaire qui s'appelle « Le livre blanc ». Pourriez-vous nous en parler un peu ?

Thierno Souleymane Diallo : Ça parle de la Guinée des années 1960, où il y a eu beaucoup d'exactions méconnues de la nouvelle génération et des jeunes On a l'impression que l'histoire du pays s'arrête en 1958, avec le « Non » adressé au général de Gaulle, alors que beaucoup de choses se sont passées dans les années 1960 – bonnes ou mauvaises. Aujourd'hui, nous sommes partagés entre ceux qui voient en Sékou Touré un héros, et ceux qui voient en lui un tyran. Pour moi, en tant que réalisateur documentariste, je veux proposer un débat sur ce passé. Il y a toute une littérature « de douleur » qui n'est pas du tout connue des Guinéens, en général. Comme on le dit : « Quand tu as envie de cacher quelque chose à un Guinée, mets-le dans un livre. Il ne le saura pas, parce qu'il ne le lira pas. »

Remerciements chaleureux à Thierno Souleymane Diallo, ainsi qu'à Romane Desdoits et Alice Martins de l'Agence Valeur Absolue.

ZOOM

Une fiction à venir

Vous travaillez aussi sur votre premier film de fiction, « Un village à vendre » ?

Thierno Souleymane Diallo :Oui. C'est l'histoire de la Guinée, avec ses mines, où on trouve de la bauxite, des diamants ou de l'or, et qu'on vend. Les habitants ne sont cependant pas d'accord de quitter leur terre, et les cimetières de leurs ancêtres, pour, disons, planter des arbres dans un autre endroit. Le film va parler aussi du problème de l'environnement. On parle beaucoup, en ce moment, du réchauffement climatique, mais, en même temps, on vient en Afrique pour casser des montagnes et sortir de la terre, ce qui pose des problèmes écologiques énormes.

Matthias Turcaud