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TITA NZEBI, du Gabon à l'Inde, il n'y a qu'un pas

Bibaka Music Label

Se laisser porter, mais choisir quand même sa vie

La chanteuse gabonaise sort son deuxième album...

Le 6 avril prochain, Tita Nzebi présentera son album "From Kolkata", inspiré en grande partie de sa tournée en Inde, au Café de la danse à Paris.

Rencontre pour en savoir plus sur ses influences, sa trajectoire, ses affinités musicales comme ses racines gabonaises.

Comment la musique est-elle entrée dans votre vie ?

TIta Nzebi : Par le biais du baccalauréat. Je devais présenter une épreuve pratique à la place du sport que je ne faisais pas. J'ai choisi la musique et c’est ainsi qu’elle est entrée dans ma vie.

De quelle manière l'inspiration vous vient-elle généralement ?

Tita Nzebi : De différentes façons. Elle peut venir d’une réflexion sur un sujet, peu importe lequel, d’une indignation, d’une rencontre, d’une discussion etc. En général elle vient comme une sorte de flash puis s’impose.


Que veut dire "Sôle moyi à wè" ? De quoi parlez-vous dans cette chanson ?

Tita Nzebi : Sôle moyi à wè veut dire choisis ta vie en langue nzebi. Dans cette chanson je rassure les enfants au sujet des conflits qu’ils peuvent avoir avec leurs parents.

Je leur dis qu’ils peuvent ne pas suivre leurs conseils, ne pas choisir leur religion, décider de partir de leur village pour vivre ailleurs. Mais ils doivent choisir leurs vies avec soin car il s’agit de leurs vies. S’ils se trompent sur les voies qu’ils ont librement choisies, qu’ils se souviennent qu’ils viennent de quelque part et qu’ils peuvent toujours y revenir car c’est chez eux.

Et "Bayéndi" ?

Tita Nzebi : Bayéndi veut dire les partants toujours en langue nzebi. Il m’est arrivé de perdre des connaissances. Morts trop jeunes. Face à ces décès je pensais souvent à mon père qui, lui, est mort vieux après avoir accompli tant de choses. J’aurais aimé, que comme mon père, ces personnes aient le temps de construire une vie, de voir leurs enfants, leurs petits-enfants et arrières-petits-enfants grandir et commencer à construire leurs vies aussi.

Dans cette chanson je mets ces différents départs l’un en face de l’autre. D’un côté une vieille personne qui part quand il faut et, de l’autre, une jeune personne qui ne part pas finalement. Mais se volatilise presque, tellement ce départ est inattendu.

Je supplie la terre, qui nous avalera tous, de bien vouloir laisser les plus jeunes grandir d’abord. Comme pour lui dire « Terre c’est inutile d’être si pressée, nous finirons tous, de toutes les façons, par venir à toi. » J’y supplie aussi l’Homme de cesser de tuer l’Homme car il ne lui sert à rien de s’imposer cette tâche supplémentaire puisque, de toutes les façons, elle s’accomplira naturellement, toute seule.

Tita-Nzebi-from-kolkata

Vous avez finalisé cet album en Inde, et il porte d'ailleurs le nom de "From Kolkata". En quoi ce pays vous a-t-il inspiré ?

Tita Nzebi : C’est difficile d’expliquer pourquoi un lieu, une personne, une situation vous inspirent. En tout cas, pour l’instant, je ne sais pas encore comment répondre à cette question. Un jour je saurai peut-être.

Je peux juste confirmer quelques faits aujourd’hui, c’est à Kolkata que j’ai terminé l’écriture de certains titres jusque-là inachevés. J’y ai composé un titre et collaboré avec des artistes du Bengale alors que quelques mois auparavant, rien de tout cela n’était planifié ni même imaginé.

Ce titre, From Kolkata, ne procède même pas d’une réflexion. Il m’a juste paru évident. Je l’ai proposé à mon équipe et j’ai eu comme réponse « si tu veux » puis nous sommes très vite passés à autre chose.

Quels thèmes vous tiennent-ils le plus à cœur ?

Tita Nzebi : Il n’y a chez moi aucune hiérarchie entre les thèmes. Je pense que tout est important. Les thèmes s’imposent d’eux-mêmes. La réflexion commence lorsqu’il s’agit de savoir comment aborder tel ou tel sujet, avec quels mots l’aborder. C’est à ce moment que je ‘travaille’.

Qu'est-ce qui arrive en premier, chez vous, le plus souvent ? La mélodie ou les paroles, le refrain ou un morceau de couplet ?

Tita Nzebi : Très souvent c’est un mot ou une onomatopée avec un univers et un bout de mélodie. Parfois c’est juste un bout de mélodie sans mots, sans univers. Au début ce n’est pas toujours évident de déterminer si c’est un couplet ou un refrain. C’est en cherchant à comprendre ce qui m’est donné que les choses se précisent. C’est moi qui donne leurs formes définitives à ces sortes de dons.

Pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre collaboration avec vos musiciens : le guitariste Serge Ananou, le bassiste Ivan Réchard, et la batteur Georges Dieme ? Vous travaillez depuis longtemps avec eux, vous vous comprenez peut-être maintenant même sans parler ?

Tita Nzebi : J’ai de la chance de pouvoir travailler avec les mêmes musiciens sur une si longue période. Georges et Serge sont arrivés au même moment. C’était pour mon premier concert au Sentier des Halles à Paris le 24 janvier 2012. Serge devait remplacer mon guitariste de l’époque, Elias O’Regan qui n’était pas disponible pour cette date. J’avais sollicité les services de Georges car je voulais un batteur pour ce concert.

Ivan est venu un an plus tard pour mon deuxième concert au Sentier des Halles le 30 mars 2013. Il devait remplacer mon bassiste de l’époque, Leny Bidens, qui n’était pas disponible. C’est ainsi qu’ont commencé nos différentes collaborations.

Pendant un moment j’ai travaillé avec 4 musiciens. Elias mon tout premier guitariste, Serge, Ivan et Georges. Puis Elias a arrêté la musique et j’ai continué l’aventure avec Serge Ananou, Ivan Réchard et Georges Dieme. Nous avons fait beaucoup de concerts ensemble et maintenant un album.

J’espère pouvoir continuer à travailler avec eux pendant quelques années encore car maintenant nous pouvons en effet nous comprendre sans parler et c’est un atout très important.


Merci d'évoquer aussi pour nous le travail avec le congolais Sec Bidens, avec lequel vous avez travaillé sur le maxi single "Mbissi miti", ainsi que sur la chanson "L'Kwèle", présente sur ce nouvel album. Que veut d'ailleurs dire "Mbissi miti" ?

Tita Nzebi : Comme beaucoup de Gabonais, j’ai grandi avec le nom de Sec Bidens. C’était un musicien très célèbre au Gabon dans les années 80/90. Notre collaboration a commencé à Paris. Je recherchais un arrangeur pour ce premier maxi single.

J’ai croisé Sec Bidens pour la première fois lors d’une soirée gabonaise à Paris, je me suis présentée à lui, il m’a donné son numéro de téléphone et m’a demandé de passer à son studio. Quand mon projet s’est précisé je l’ai appelé et il a accepté de m’aider à le réaliser. C’est donc lui qui a réalisé Mbiss miti. Nous l’avons enregistré dans son studio, le studio Thérapy et mixé au studio Marcadet. Mbiss miti veut dire derrière les arbres.

Avant de rencontrer Sec Bidens, je n’avais qu’un seul musicien, Elias O’Regan mon guitariste de l’époque. C’est avec le concours de Sec que j’ai pu avoir un percussionniste, Jimmy Mbonda, qu’il avait contacté pour enregistrer sur Mbiss Miti, et un bassiste, Leny Bidens, son fils, qui, de lui-même avait voulu jouer la basse sur ce projet. Leny et Jimmy devinrent mes musiciens après cet enregistrement. Nous avons fait plusieurs concerts ensemble, à Paris principalement.

Sec Bidens a joué sur mon premier album Métiani ainsi que Leny, Jimmy et Elias. Sec et Jimmy viennent encore d’enregistrer sur From Kolkata.

Comment s'est passée, quant à elle, la rencontre avec les musiciens indiens qui ont également contribué à donner vie à "From Kolkata", à savoir Titash Sen, Gobinda Das Bairagya et Sandip Bag ?

Tita Nzebi : Mon équipe et moi nous sommes rendus en Inde invités par la structure Banglanatak dot com. Les échanges et les enregistrements avec des artistes locaux étaient prévus dans notre programme concocté par ladite structure. C’est comme ça que la rencontre et la collaboration avec Titash, Gobinda et Sandip ont eu lieu. Nous avons non seulement enregistré quelques titres en studio mais aussi fait plusieurs concerts ensemble au Bengale lors de ce séjour.

Préparez-vous en général tout dans les détails, ou gardez-vous une préférence pour l'improvisation et ses caprices ?

Tita Nzebi : Il y a de toutes les façons beaucoup de choses sur lesquelles je n’aurai jamais prise. Pour celles sur lesquelles je peux agir j’essaie de les faire le mieux possible. Par exemple, je vais toujours au bout de mes capacités pour préparer un concert ou un album. Mais je n’ai aucune prise sur la décision des gens de venir ou non me voir sur scène, d’aimer ou non mon album. Pour ces choses-là je laisse place, non pas à l’improvisation, mais au destin.

Quel regard portez-vous sur la scène musicale gabonaise actuellement ?

Tita Nzebi : C’est une scène qui a beaucoup de potentiel du fait de la diversité de ses talents. C’est encourageant pour un si petit pays. Elle gagnerait à être mieux encadrée légalement. Il faut par exemple lutter contre la piraterie, régler définitivement la question des droits d’auteurs. Sur un plan structurel il serait souhaitable d’avoir plus de lieux pour permettre à tout type d’artistes de se développer localement.

Une scène locale dynamique et mieux structurée permettrait plus d’échanges avec des artistes de pays voisins et même au-delà et ce serait une aubaine pour le pays. Pour son économie et pour son rayonnement à l’international.

Notre site s'attache à promouvoir les cultures africaines. Quels musiciens et chanteurs gabonais et africains vous ont-ils marqué en particulier ?

Tita Nzebi : Pêle-mêle je citerais la Gabonaise Nanda la Gaboma. Une slameuse, chanteuse, enseignante à l’université de Nanterre, auteur de deux recueils de poésie, qui va beaucoup faire parler d’elle dans les prochaines années je crois.

Le Béninois Serge Ananou. En plus d’être un bon guitariste c’est aussi un auteur, compositeur, interprète et arrangeur très talentueux. Je vous conseillerais vivement de lui prêter attention.

Jann Halexander, un chanteur franco-gabonais que je vous invite à découvrir si vous ne le connaissez pas encore.

Je regarde ses vidéos, écoute ses chansons depuis plusieurs années, j’ai eu le bonheur de partager une scène avec elle en mars 2018 à La Clef à Saint-Germain-en-Laye, c’est l’Ivoirienne Dobet Gnohoré que vous connaissez certainement. J’aime beaucoup cette artiste.

Je vais clore cette liste avec François N’gwa, je me permets même de vous suggérer de le faire découvrir, lui et/ou sa musique à vos lecteurs. C’est un immense talent Gabonais que je recommande un million de fois.

Quels projets avez-vous actuellement ?

Tita Nzebi : Actuellement je prépare la sortie de From Kolkata, mon deuxième album et le concert du 6 avril 2019 au Café de la danse à Paris. N’hésitez pas à venir passer cette soirée avec nous. Je pense qu’elle sera belle.

Je me rends aussi mi-mars à Kolkata pour une série de concerts en Inde avec Serge, Ivan et Georges. Nous avons été invités par les alliances françaises de Calcutta au Bengale occidental et de Lucknow dans l’Uttar Pradesh.

Quelques mots sur votre précédent album "Métiani"

Tita Nzebi : Ah là là ! merci beaucoup pour cette question. Je pourrais dire tellement de choses sur Métiani…

Je vais juste vous dire que je suis très fière de cet album. Beaucoup de gens ont découvert ma musique à travers Métiani. Nombreux m’ont dit que je ne pourrai plus jamais faire un album aussi beau. Je pense qu’ils attendent mon deuxième album pas uniquement pour le découvrir mais aussi pour voir si j’ai réussi à faire au moins aussi bien que Métiani. A partir du 7 avril je serai fixée.


 

Photos de Milena Perdriel, "From Kolkata". 

ZOOM

L'artiste François N'gwa recommandé par Tita Nzebi

francois-n-gwaFrançois N'gwa est un musicien gabonais, qui écrit, compose, arrange, et joue de la guitare.

Également ingénieur du son, propriétaire du studio N'Gom, il chante à la fois en punu, en moyenne, et en fang.

Il s'inspire des bruits de la forêt tropicale, mélange le folk africain, le jazz et les classiques européens dans un mélange intrigant qui peut faire penser à son compatriote Pierre Akendengué.

Il a signé les albums "N'Kang", "Kak'lyami" et "La Panthère a pleuré".

Matthias Turcaud