Romans / egypte

NAWAL EL SAADAWI, la briseuse de chaînes

Une feuille blanche comme seule arme de lutte

S'il y a une figure féminine qui continue d'influencer l'expression littéraire égyptienne, c'est bien Nawal El Saadawi.

Décédée en 2021, la mémoire et l'œuvre de l'écrivaine demeurent aujourd'hui le modèle-type d'une littérature qui se veut porteuse du changement.

« L'écriture est devenue une arme pour combattre le système, qui tire son autorité du pouvoir autocratique exercé par le souverain de l'État, et celui du père ou du mari dans la famille ». Cette phrase emblématique de l'écrivaine Nawal El Saadawi résume l'objet du combat qu'elle s'engage à mener.

A 68 ans, alors qu'elle écrit cette célèbre phrase dans son livre autobiographique "Une fille d'Isis", Nawal El Saadawi fait déjà l'objet de vives contestations de la part de ceux qui se considèrent comme les défenseurs des mœurs arabes. Ces dangereux conservateurs qu'elle voit, elle-même, comme les figures d'un système autocratique et patriarcal, sont prêts à tout pour faire taire la bouche d'une femme qui refuse de se soumettre comme toutes les autres. N'ayant pas froid aux yeux, Nawal El Saadawi les indexe dans ses romans.


C'est dans son enfance qu'ont germé ce cran et cette répugnance à l'égard d'un système coutumier misogyne. A six ans elle connaît, comme toutes les autres filles, une mutilation génitale. Cette douloureuse épisode de sa vie restera déterminante dans sa prise de position sociopolitique envers celles de son genre : les femmes.

Nawal El Saadawi s'est alors fait défenseure des droits des femmes égyptiennes contre une culture caractérisée par des multiples restrictions sociales et religieuses profondément avilissante pour elle. Mais la lutte de cette écrivaine égyptienne est étouffée d'abord par les pouvoirs religieux qui considèrent son combat comme une atteinte aux préceptes religieux, ensuite par le pouvoir politique qui ne digère pas cette forme d'insoumission. Enfin la société, incitée par les conservateurs, redoute qu'une telle prise de position affecte l'ordre établie depuis des siècles.

Ses livres, surtout ses écrits littéraires, plus de 50 publications, traduisent l'intensité du besoin qu'elle a d'exprimer les méfaits de la coutume sur sa vie notamment. Elle élargit sa propre expérience au niveau de la société et démontre le danger d'un tel avilissement envers la femme qu'elle est elle-même ainsi qu'aux autres qui sont soumises au même destin qu'elle.

C'est surtout auprès des jeunes filles de l'époque qu'elle est considérée comme une vraie figure de résistance et comme un modèle de lutte et d'épanouissement. Auprès de cette catégorie de la société, ses ouvrages deviennent une arme, un monde et une ressource pour hausser le ton.

Nawal El Saadawi qui n'était jusque-là qu'une écrivaine engagée devient un danger pour le pouvoir politique et religieux. Ses livres sont interdits dans le monde arabe, elle est démise de ses fonctions de médecin et emprisonnée en tant qu'ennemie de l'Etat ; mais rien n'arrête le combat de cette militante acharnée. En prison, elle compose une œuvre autobiographique sur du papier toilette avec un crayon introduit en contrebande dans sa cellule, car pour elle, la seule arme efficace c'est l'écriture et les mots qu'elle accouche sur du papier blanc. Elle le dit elle-même lorsqu'elle écrit que : « Le mot écrit est devenu pour moi un acte de rébellion contre l'injustice exercée au nom de la religion, de la morale ou de l'amour. »


Passant plusieurs années en exil après sa libération, la militante publie plusieurs romans et essais dans lesquels elle parle sans recul des tabous de sa société en se posant elle-même au centre de ce combat. Elle a critiqué certaines des pratiques les plus sacrées de l'islam, y compris les rituels centraux adoptés par les pèlerins à La Mecque ; elle les décrit comme des vestiges du paganisme. Elle a fustigé les femmes égyptiennes autant pour s'habiller avec des vêtements occidentaux étriqués que pour porter le voile.

Son combat est aujourd'hui à la base des nombreux changements juridiques positifs en Egypte. Sa longue lutte à travers ses œuvres continue de parler et de défendre la cause de la femme à travers le monde. Par-delà, toute la dignité de l'homme quel que soit le genre.

ZOOM

Une écriture virulente qui ne cache rien

Extrait du roman "Une Fille d'Isis" :

"L'arbre orphelin n'était plus là. Un bulldozer était arrivé et l'avait déraciné. Deux murs de béton ont commencé à s'élever jusqu'à ce qu'ils bloquent la lumière du soleil de ma fenêtre. Au-dessus d'un mur s'élevait le haut minaret d'une nouvelle mosquée baignée dans le blanc des néons. Au-dessus de l'autre était accroché un panneau d'affichage pour McDonald's entouré de néons tournants. Au rez-de-chaussée apparurent d'autres lumières circulaires pour quelque chose de nouveau appelé Disco Club.

J'ai commencé à garder mes fenêtres en verre et mes volets en bois fermés jour et nuit, mais le vacarme du bruit et les lumières pulsées continuaient à traverser mon corps, se mêlant à l'odeur du hamburger, au bruit sourd des rythmes disco et aux cris de "Allah est le plus super... venez prier".

Pendant les douloureuses nuits blanches, je me demandais s'il y avait un pacte entre les deux. Allah et McDonald's pour chasser le sommeil pesant sur mes paupières, ou me chasser de chez moi."

Israël Nzila Mfumu