Romans /

YASUKE, la destinée hors-norme du premier samouraï africain

Owen Publishing

Un conte africain moderne sur l'existence de l'autre et de ses différences.

Le récit commence comme une belle histoire que l’on a envie de (se) raconter. Une histoire fabuleuse, à peine croyable tant elle est unique, hors norme.

Imaginez qu’au XVIe siècle un jeune Mozambicain - Yasuke - se fait capturer par des membres de tribus voisines pour être vendu comme esclave à des négriers portugais. Jusque-là, me direz-vous, rien que de très commun.

Mais la suite l’est nettement moins. Car c’est un long périple qui commence pour ce jeune garçon qui découvre un monde bien éloigné de ce qu’il connaissait : les hommes blancs pour commencer, mais pas que…

En effet, Yasuke est amené, pour y être vendu, en Inde à la ville de Goa qui a fait de l’esclavage sa ressource principale. Et là, c’est le monde entier qui se dévoile à lui : Indiens, Chinois dans une place forte portugaise, mais aussi les jésuites qui exercent une forte influence religieuse, politique et économique. Il est justement acheté - et c’est d’une certaine façon une vraie chance - par des jésuites, avec pour tâche de fournir en eau la congrégation et l’hôpital l’obligeant à de nombreux allers-retours pénibles entre la ville et les sources.


Quelque temps plus tard, une fois les preuves faites de sa fidélité à la congrégation, changement de programme : il doit accompagner dans son voyage un père jésuite qui part en mission au Japon. Le trajet est long et Yasuke va de découverte en découverte à commencer par la raison de ce périple. En effet, les Japonais sont friands de voir des hommes noirs - alors presque totalement inconnus au Japon - et feraient n’importe quoi pour en approcher un.

Du coup, cela donnait non seulement un prestige tout particulier aux jésuites qui l’avaient amené, mais aussi une source de revenus non négligeable pour la congrégation. C’est ainsi que Yasuke côtoya le gratin de la société nippone de l’époque, qu’un grand seigneur le trouva à son goût, le demanda aux jésuites en cadeau et en fit son serviteur préféré, son samouraï…

Serge Bilé, au-delà de ses talents incontestables de conteur, nous fait revivre des pans d’histoire peu fréquentés que l’on découvre avec grand plaisir. La vie des colonies portugaises de Goa ou la vie au Japon et l’étonnement des populations devant la couleur de peau de Yasuke. En effet, derrière le conteur se cache un véritable historien puisant aux meilleures sources. Les nombreuses notes de bas de page de l’ouvrage témoignent du sérieux de la recherche en maintenant constant l’équilibre entre fiction et faits historiques.

Par exemple, un point particulièrement intéressant est soulevé en montrant l’importance de la présence de communautés noires en Inde : les Sidis. Ce sont des Indiens d’origine africaine qui peuvent se souvenir de leurs origines comme les Sidis de Janjira provenant d’une colonie de marchands éthiopiens du XIIIe siècle à la recherche de débouchés commerciaux.


Ils ne sont donc pas forcément issus de l’esclavage, et le fait d’être musulman ouvre aussi des portes, toutes les portes même. L’auteur cite en exemple Sidi Ambar Khan qui devint en 1621 Nawab de Janjira, monarque de cette ville, fondant ainsi une longue dynastie de souverains de ce qui resta un état indépendant jusqu’en 1948.

Entre l’Histoire et le conte africain, Yasuke de Serge Bilé donne de beaux moments de lecture et de réflexions sur la nature des différences entre les hommes tout en nous faisant partager la destinée hors-norme du premier samouraï africain.

ZOOM

L’extraordinaire étonnement des Japonais face à un Africain noir.

Serge Bilè s’est particulièrement bien documenté et cite l’écrivain Ôta Gyūichi lors de la présentation d’un Africain au seigneur Nobunaga : « Le 23 du second mois, un Maure noir vint des pays chrétiens. Il semblait avoir 26 ou 27 ans. Cet homme était robuste comme un bœuf et avait de la présence. De plus sa force était supérieure à celle de dix hommes réunis… Le seigneur Nobunaga le remercia de lui avoir donné l’occasion de voir d’aussi prés une personne aussi rare et extraordinaire, telle qu’il n’en avait jamais vu auparavant. »

L’auteur ajoute aussi le fait qu’il fallut qu’il se nettoie à grande eau pour que l’on soit bien persuadé que sa couleur noire fut naturelle.

Un prêtre présent lors de cette présentation, le père Louis Fróis, note « Le fils de Nobunaga qui était à l’époque le commandant d’Osaka a offert quant à lui la somme de 10 000 sen… » montrant ainsi qu’il s’agit bien là « d’une affaire rentable » pour la congrégation !

Mais la foule, dans son enthousiasme à voir un homme noir, peut aussi devenir incontrôlable : « Quelqu’un a même lancé une pierre, ce qui a provoqué beaucoup de blessures et même des morts. De nombreux gardes surveillaient l’entrée, mais les gens ont quand-même réussi à casser la porte. » ajouta-t-il.

Vincent Godeau