Romans / congo-brazzaville

TAIS-TOI ET MEURS de Alain Mabanckou

Éditions La Branche

Un polar inquiétant au beau milieu du Paris congolais sublimé par la langue truculente d'Alain Mabanckou.

Une femme tombe par la fenêtre et éclabousse de son sang les Weston de Julien Makambo, devenu José Montfort grâce à l’art des faux-papiers. Les ennuis commencent. Il faut se méfier des gens qui vous font des promesses de succès sans jamais entrer dans les détails.

Entièrement pris en charge par Pedro, prince de la communauté Congolaise de Paris, l’arrivée de Julien en France se fait sans heurts. Tout est préparé, bordé, garanti. Ce Paris que rêve Julien depuis sa Pointe-Noire (Congo-Brazzaville) devient réalité. Grâce à la solidarité des siens, il entre par la grande porte : avec des papiers stipulant qu’il est français.

Sur place on lui explique que s’il obéit aux règles du milieu, il va grimper dans la hiérarchie et devenir quelqu’un d’important et de fortuné. Julien / José est intelligent et discipliné. Il apprend vite et devient rapidement le bras droit de Pedro qui l’initie aux petits trafics, aux boîtes branchées, aux femmes et à la SAPE (Sociétés des Ambianceurs et des Personnes Élégantes).

La SAPE n’est pas uniquement une façon de s’habiller d’une myriade de couleurs vives, c’est toute une culture avec ses codes, ses normes et sa philosophie, la principale étant de se démarquer.

Alain-Mabanckou

Julien / José en revêtant son costume vert électrique s’intègre à son milieu et devient aux yeux de tous un Congolais à Paris. Cela ne le singularise pas, cela le catégorise. Au moment du meurtre, c’est ce même costume qui va le rendre identifiable.

Julien / José devient prisonnier de ce qu’il représente, du destin qui lui a été attribué par la société française et la communauté congolaise. Son identité lui est enlevée, concrètement et ses frères de Paris lui en fabriquent une nouvelle : je t’ai donné un nom, tu es à moi, tu ne t’appartiens plus.

Renommé, rhabillé, employé, englué dans l’espoir d’une réussite jamais vraiment explicitée, il va être dit à Julien / José qu’on a besoin de lui pour un gros coup. Il n’aura pas plus d’explications : c’est pour quelqu’un d’important et c’est un honneur qu’on lui fasse confiance. Curieusement, il n’aura rien d’autre à faire que d’être à un certain moment à un certain endroit et touchera pour cet acte une forte récompense financière.

Plus tard, suspect numéro un dans le meurtre de la jeune femme blonde défenestrée ayant atterri à ses pieds, ses petits camarades lui expliquent que s’il accepte de porter le chapeau, il aura tout le soutien de la communauté. Sinon, il a intérêt à partir s’installer sur la lune.

Dans Tais-toi et meurs, Alain Mabanckou nous entraîne, au coeur de la communauté congolaise de Paris.

Et voilà, la vie de Julien Makambo n’est plus. C’est une vie qui a cessé d’être gratuite, elle sert à quelque chose. Désormais, Julien / José a un rôle dans la société, un rôle qui fait tourner une économie et qui alimente des discours politiques. Il est le protecteur du prince Congolais de Paris, celui qui se tait et se sacrifie pour la communauté. Il est le Congolais sapeur qui jette des femmes blanches par la fenêtre. Il est conditionné par les clichés, s’est laissé prendre dans la toile et illustre les fantasmes les plus archaïques.

Pourquoi Julien Makambo écrit-il son histoire ? Parce qu’on a déjà trop écrit son histoire à sa place. Ses parents lui ont donné un nom qui signifie « les ennuis » en lingala. On l’a ensuite débaptisé, rebaptisé, transformé. Aujourd’hui il est en prison et la justice française écrit son histoire en le jugeant coupable. Alors Julien sort des ténèbres en s’appropriant son vécu et en le relatant. Il apprivoise son histoire et ce faisant, prend son indépendance.

ZOOM

Alain Mabanckou casse l’idée d’une Afrique unilatérale ou d’une diaspora Noire solidaire

Quand Julien / José se réfugie à Montreuil, ou Bamako-sur-Seine, il ne jouit d’aucune aide.

Quand il est arrêté pour fraude, c’est un agent Martiniquais qui s’acharne sur lui.

Où se sont installés les immigrés ont poussé des communautés organisées comme des micro-sociétés hiérarchisées, se méfiant l’une de l’autre et où se fabrique l’entre-soi.

 

Le blog Yekrik Yekrak

Eva Dréano