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LES CIGOGNES SONT IMMORTELLES, le nouveau bijou d’Alain Mabanckou

Alors qu’il vient d’entrer dans le Larousse des noms propres, Mabanckou confirme une fois de plus son talent d’écrivain avec Les Cigognes sont immortelles, qui évoque son enfance au Congo-Brazzaville en 1977.

C’est très fort ce que Mabanckou est parvenu à faire : parler de politique, de l’assassinat des opposants, de la Françafrique, de l’histoire du Congo, et tout cela à travers les yeux d’un enfant, avec une justesse et une grâce désarmantes.

La simplicité dans l’écriture, le point de vue de l’enfant permettent de dire des vérités avec une clarté souvent inédite, une fraîcheur et une émotion remarquables. Ce parti-pris permet aussi de voir la réalité et le quotidien autrement.

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En voici quelques exemples :

« Maman Pauline dit souvent que lorsqu’on sort il faut penser à mettre des habits propres, car les gens critiquent en premier ce que nous portons, le reste on peut bien le cacher, par exemple un caleçon gâté ou des chaussettes trouées. »

« Dans le salon nous avons une table qui bouge beaucoup, et ma mère dit qu’elle est handicapée, qu’elle a un pied malade. J’ai pour mission d’équilibrer ce pied avec deux petits cailloux quand des personnes importantes viennent manger chez nous. »

« Voici la boutique « Au cas par cas » de Mâ Moubobi, située à deux pas de l’avenue de l’Indépendance. Elle n’est pas bien rangée, c’est tout petit, ça sent le poisson salé et la pâte d’arachide. Les prix ne sont pas fixés pour de bon, ça dépend de si vous connaissez ou pas Mâ Moubobi, voilà pourquoi la boutique s’appelle « Au cas par cas » ».


La narration est resserrée autour de trois journées du mois de mars 1977.

L’enfant, qui raconte aussi l’histoire, nous parle du désordre causé par la mort de Marien Ngouabi, de la radio qu’il écoute avec son père adoptif à l’ombre du manguier dans la concession familiale, de ses poches trouées et de ses premiers émois sentimentaux pour une belle fille de sa classe avec laquelle il prépare des exposés, qui lui plaît beaucoup mais à qui il n’ose pas déclarer clairement sa flamme. Il est question d’école, de famille, des courses à faire, des relations de voisinage,…

Ce n’est qu’un fragment de sa vie qui nous est présenté ici, mais un fragment qui nous donne un bon aperçu de son enfance dans son intégralité nous semble-t-il.

Le récit d’Alain Mabanckou paraît très complet, tant il mêle aussi de manière très maîtrisée émotion, suspense, humour, réflexion et poésie. Le Goncourt n’aurait pas été usurpé !

ZOOM

Le professeur Alain Mabanckou

Écrivain en résidence en 2002, Alain Mabanckou enseigne la littérature francophone à Ann Arbor pendant trois ans avant d'être embauché en 2006 par l’Université de Californie à Los Angeles (UCLA) où il est jusqu'à ce jour Professeur titulaire (Full Professor) de littérature francophone.

Lettres noires : des ténèbres à la lumière, c’est sous ce titre qu’Alain Mabanckou prononçait, le 17 mars 2016, sa leçon inaugurale en tant que professeur invité au Collège de France, Chaire de Création artistique pour l'année académique 2015-2016, une leçon qui vit se bousculer plus d’un millier d’auditeurs.

Conforté par cet écho, Alain Mabanckou a battu le rappel des chercheurs, écrivains et penseurs de l’Afrique postcoloniale, les conviant à venir débattre sur le thème Penser et écrire l’Afrique aujourd’hui lors d'un colloque qui s'est tenu le 2 mai 2016.

Le souhait profond est que ce colloque « résonne comme un appel à l’avènement des Etudes africaines en France ». C’est une façon de s’interroger sur « le retard pris par la France dans la place à accorder aux études postcoloniales pendant qu’en Amérique presque toutes les universités les ont reconnues et les considèrent comme un des champs de recherche les plus dynamiques et les plus prometteurs. »

Matthias Turcaud