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FANN ATTIKI, de l'électronique à l'écriture

... en passant par la pharmacie

Le jeune slameur et écrivain Fann Attiki ne manque ni de talent ni d'énergie et encore moins de projets... Il nous raconte comment il a cassé son stylo pour le troquer contre une plume d'écrivain !

Comment vous êtes-vous mis à écrire ?

Fann Attiki : Le point de départ est la consommation de grands textes sous les formes orale et écrite. Sans cela, je n'aurais jamais éprouvé l'envie de produire la moindre ligne, pas même les déclarations d'amour aux voisines ayant fait chavirer mon coeur dans mon enfance. Tous les matins, ma mère me nourrissait de poésie en jouant les vinyles de grands poètes des variétés congolaise et française (Lutumba Simaro, Pamélo Mounka, Tabu Ley, Gainsbourg, Michel Sardou...). Une initiation au beau qui ne dit pas son nom. Ce qui a eu pour effet d'éveiller en moi un goût prononcé pour des textes de qualité.

Cette disposition d'esprit m'a aidé à apprécier ″les trois contes″ de Flaubert, qui m'était tombé entre les mains grâce aux manigances du hasard. C'était là mon premier contact avec la littérature. La lecture de "Madame Bovary" avait fixé en moi l'obligation de l'esthétique dans l'Ecriture. Ainsi j'orientais mes lectures selon des critères de style bien précis. Par la force des choses, l'envie d'écrire avait fini par me corrompre. Le Slam s'était alors présenté à moi, m'offrant de m'exprimer selon la vision que j'avais de l'Ecriture : se saisir du banal pour en révéler la profondeur et le beau. Au bout d'un moment le Slam ne suffisait plus. Désormais trop étroit pour mes idées et ma créativité. Ma quête d'un espace plus grand m'a donc conduit au roman.

Je tenais à évoquer ce parcours pour faire réaliser qu'on ne vient pas à l'Ecriture comme dans une maison close, même si le plaisir égoïste peut être leur point commun. Il y a souvent une préparation – insoupçonnée – ou une éducation qui en sont les conditions.


Votre parcours n'a pas été une autoroute. Comment passe-t-on de l'électronique à l'écriture en passant par la pharmacie ?

Fann Attiki : En se laissant dominer par ses pulsions. En ne versant pas dans le déni de sa nature d’artiste. L’équilibre dont j’ai toujours fait preuve m’avait aidé à répartir raisonnablement mon temps entre mes études, mon travail à la pharmacie et l’Ecriture. Voyez-vous, avant d’en faire ma profession, je réduisais l’acte d’écrire à l’expression artistique de ma conception du monde. Ce n’était qu’à mes heures perdues que j’interrogeais l’existence, donnant à une suite de questions la forme d’un texte.

Pourriez-vous nous parler du groupe "Ras-le-bol" avec lequel vous collaborez ?

Fann Attiki : J’ai embrassé la vision première de ce mouvement citoyen. Elle consistait à faire de l’art un instrument de défense des droits des Congolais. Nos collaborations sont essentiellement basées sur des projets visant à investir les établissements scolaires des localités reculées du pays, pour instruire les élèves sur leurs droits, sur l’intérêt des valeurs citoyennes, grâce au slam.

Le slam connaît-il beaucoup de succès à Brazzaville ?

Fann Attiki : De plus en plus de scènes de slam éclosent dans tout Brazzaville. Très présent dans de grands événements, il séduit un public de plus en plus hétérogène. Plusieurs écoles intègrent les ateliers de Slam dans leurs activités extrascolaires… toutefois le meilleur reste à venir.

Quels objectifs l'association "Le Styl'Oblique" vise-t-elle à atteindre ?

Fann Attiki : Répandre le Slam au Congo comme le sont les évangiles, et ainsi provoquer la prolifération d’autres associations ou collectifs de Slam. C’est en cela que se résument les objectifs du Styl’Oblique. Plus de dix ans que nous faisons de notre mieux, avec les moyens du bord. Chaque année nous tenons un peu plus notre pari.

Comment le roman Cave 72 a-t-il vu le jour ?

Fann Attiki : D’un côté, je voulais écrire sur une jeunesse à la fois très clichée et hors du commun, pourvue d’énormes potentiels, instruite, incomprise car libre (dans laquelle je me reconnais) et faire entendre ce qu’elle a à dire. D’un autre côté je voulais mentionner le caractère absurde du système politique qui fixe les règles dans notre société.

De cette association a jailli une trame où les prises de position des jeunes sont des tremplins, de véritables outils d’ascension de ceux qui détiennent le pouvoir ; où les vengeances s’entremêlent au point de donner aux marionnettes l’illusion du libre arbitre ; où les ambitions d’un haut gradé condamnent des jeunes innocents à la clandestinité ; où la voix des femmes compte et nous édifie sur l’héroïsme dont elles font preuve au quotidien ; où la fermeture d’un bar est prétexte à une révolution. Cave 72 me venait ainsi, en pièces détachées. J’observais autour de moi, j’avais fini par constater que Cave 72 plagiait la réalité. Je n'avais plus qu’à produire un fil narratif et à donner vie aux personnages.


Vos personnages ont "cassé leur stylo". Pourriez-vous nous expliquer cette expression ?

Fann Attiki : "Casser le stylo" veut tout simplement dire mettre un terme à ses études. Une traduction littérale de l’expression originelle en lingala qui est : ko bouca bic. Le Congolais étant polyglotte par définition, il m’arrive d’enrichir mes textes d’expressions tirées du lingala ou du kituba. Deux langues intensément poétiques.

Combien de temps l'écriture de ce roman vous a-t-elle demandé ? Avez-vous fait de nombreuses versions et réécritures ?

Fann Attiki : La première étape du processus a été de penser le roman. J’ai pris deux ans à tout construire de bout en bout dans ma tête. Faut croire que je le trainais partout avec moi, jusque dans mes rêves. Le confinement décrété pour lutter contre la pandémie du Covid-19 m’a aidé à me décider de passer à la deuxième étape : la rédaction. Privé de toute activité, je n’avais que l’écriture pour lutter contre le sentiment d’inanité. Entre les multiples corrections et le véritable point final, la deuxième phase aura duré un an. Cela dit, Cave 72 m’a coûté trois ans de ma vie.


Écrivez-vous de la même manière pour du slam et pour un roman ?

Fann Attiki : Je pense avoir déjà répondu à la question. Ma vision de l’Écriture est la même pour le Slam comme pour le roman : se saisir du banal pour en révéler la profondeur et le beau. L’exigence et le sens de l’esthétique restent les mêmes. Je ne fais aucune différence. Roman ou Slam, il ne s’agit que de faire usage de la Parole.

Que peut nous apporter la poésie et la littérature selon vous ?

Fann Attiki : Tout et rien en même temps. Autant elles peuvent changer une vie (j’en suis l’exemple), autant on peut rester indifférent à leur charme. Elles n’ont écho qu’en ceux qui font montre d’une profonde sensibilité au beau. Or, combien en sont encore sensibles ? La question, à mon sens, devrait être que pouvons-nous apporter à la poésie et à la littérature ? Travaillons à leur service afin qu’en retour elles apportent beaucoup plus à l’humanité.

Quels écrivains, notamment africains, vous ont-ils particulièrement inspiré ?

Fann Attiki : Ce sont surtout les œuvres des écrivains qui m’ont inspiré. Pour Cave 72, je peux citer "L'aventure ambigüe", "L’affaire du silure", "Mathématiques congolaises", "Le feu des origines", "Le pleurer-rire"…

Quelles sont vos actualités ?

Fann Attiki : Je pense donner un coup de fouet à ma carrière de slameur. J’enregistre trois titres en prélude du concert que je compte donner bientôt à Brazzaville. Je travaille également sur un projet qui consiste à mettre en place des bibliothèques dans quelques localités oubliées du pays.

Quels conseils donneriez-vous à des jeunes écrivains en herbe désireux de se lancer dans l'écriture d'un livre ?

Fann Attiki : Je vais commencer par me répéter : on ne vient pas à l’Ecriture comme dans une maison close. On le dit très peu, il faudrait déjà s’assurer qu’on a des prérequis, des aptitudes qui pourraient aider à sortir le livre de l’ordinaire. Ensuite renforcer ses qualités à coup de lectures intensives pour se former, s’instruire. Enfin cultiver une discipline inébranlable, car le défi n’est pas d’écrire un livre, plutôt un bon livre.

ZOOM

La réception du livre au Congo-Brazzaville

Êtes-vous satisfait des retours de votre livre au Congo-Brazzaville ?

Fann Attiki : Je ne cacherais pas que Cave 72 a plus de succès hors les frontières du Congo.

La réalité est telle qu’à Brazzaville l’auteur est plus rayonnant que son œuvre. Toutefois je ne bouderais pas la joie de compter les acquéreurs de Cave 72 à plus de trente, dans une ville où il n’est point aisé de se procurer un livre d’une valeur de 14.500 FCFA.

Matthias Turcaud