Films / cameroun

MAMBAR PIERRETTE, éloge lumineux d'une héroïne de l'ombre

Tandor Productions / Singularis Films

"Tu portes le Cameroun sur la tête ?"

Une héroïne de l'ombre accède ici, enfin, à la lumière...

C'est la rentrée scolaire. Pierrette Mambar, la cousine de la réalisatrice, joint les deux bouts avec beaucoup de difficultés. Pour acheter toutes les fournitures scolaires de ses enfants, elle connaît une grande pression.

On suit en détail le quotidien du personnage éponyme, une femme forte qui ne cesse de se battre, malgré les aléas de la vie, qui semble parfois s'acharner sur elle de manière particulièrement têtue.

Il s'agit d'une cousine de la réalisatrice qui, selon ses propres dires, l'a beaucoup inspiré. Rosine Mbakam lui accorde toute son attention, et elle est de tous les plans. Elle parle d'ailleurs de "mise en scène partagée avec le personnage". On la suit au plus près lors d'une journée de travail, l'on voit chacun des écueils qu'elle rencontre : lorsque sa machine à coudre ne fonctionne plus, par exemple.

Il faut saluer la beauté des cadres et le superbe travail de la directrice de la photographie Fiona Braillon qui magnifie cette valeureuse "mère courage" et lui permet d'évoluer dans toute la lumière qu'elle mérite.

Beaucoup de douceur et de tendresse émane du film, et le travail jumelé de Rosine Mbakam et Fiona Braillon y contribue beaucoup. Malgré la dureté de la situation décrite, l'humour se révèle aussi présent ponctuellement, comme avec la présence du mannequin qui effraye beaucoup le quartier et aurait même enlevé l'envie à une maman de faire pipi, une nuit, avec ses yeux qui vous fixent si intensément.


La détermination du personnage ne cesse d'impressionner. Les déconvenues s'accumulent sans cesse, donnant même à son amie Magni l'impression qu'elle "porte le Cameroun sur la tête". Rien n'aura pourtant raison de son énergie et de sa volonté, jamais altérée, malgré tous les aléas du monde, de subvenir aux besoins de sa famille, en l'absence d'un homme. Comme elle le dit d'ailleurs à son amie Karelle : "Une femme doit être battante, entreprenante. Un homme ne me sert pas d'échelle. Un homme dans ma vie, c'est juste un bonus. Il faut être forte." Lorsqu'elle se plaint, ce n'est qu'à demi-mot. Tout au long, elle reste d'une très grande dignité qui force le respect.

La mise en scène s'avère d'une précision et d'une sobriété remarquables. Elle respecte ses personnages, leur octroie de la noblesse et de l'importance. La volonté immersive se fait ressentir ; et Rosine Mbakam convainc également par des choix aussi discrets qu'efficaces : comme on peut aussi relever la scène lors de laquelle Pierrette se fait voler par les complices d'un taxi-moto sur la route de l'aéroport de Douala, et que la caméra reste à distance, qu'on ne parvient pas à distinguer les traits de la couturière - une façon pudique et respectable de respecter sa peine. Enfin, lorsque le générique de fin commence et que le casting s'inscrit sur un fond noir, le bruit de la machine à coudre se fait encore entendre : une manière éloquente de faire comprendre que Pierrette continue à travailler même si le film se termine.


Le film dénonce cependant aussi un service public plus que déficient. La grande majorité de la population serait vouée à survivre péniblement, à la merci de l'insécurité, des voleurs de grand chemin et des inondations imprévues, et pour ne récolter finalement que quelques miettes d'un gâteau mangé ailleurs. La scène à la mairie s'avère également très parlante : une employée - restée en hors-champ - retourne la situation en reprochant à Mambar Pierrette de ne pas être mariée, sous-entendant que ce serait la source de tous ses maux, alors que le personnage vient de se faire agresser.

L'atelier de couture de Mambar Pierrette s'apparente à une fenêtre sur le monde : d'une patience et d'une empathie à toutes épreuves malgré ses propres soucis qui s'accumulent sans trêve, Mambar recueille ainsi les confessions d'une amie qui est partie en Guinée pour rejoindre l'Europe mais à qui on a proposé de se prostituer dans cette optique, ou un ami artiste qui décrète la mort de l'art, et, malgré toutes ses études de jazz et de danse classique, ne récolte que laborieusement quelques piécettes en tant que clown et amuseur public. Une connaissance vient également proposer à Mambar de participer à un meeting politique pour 2500 francs, et on apprend aussi qu'un train a déraillé. En toute modestie, et à hauteur de personnage, le film nous conduit à la réflexion autour de cette économie si vacillante et fragile qui menace de s'écrouler à chaque péripétie ou intempérie - devant l'assourdissante indifférence de gouvernants qui semblent s'en désintéresser opiniâtrement et avoir d'autres priorités.

A l'image de son impressionnante héroïne, qui est la dignité et la respectabilité incarnées, le film ne verse jamais dans le pathos ou dans le misérabilisme. Ce portrait empreint de sensibilité constitue définitivement un magnifique et mémorable hommage.

Remerciements chaleureux à Romane Desdoits de l'agence Valeur Absolue.

ZOOM

Une documentariste engagée et reconnue

La réalisatrice Robine Mbakam poursuit son sillon avec ce nouveau film, fidèle à ses principes et à ses engagements.

Après "Chez Jolie Coiffure", elle rend une nouvelle fois hommage aux femmes camerounaises, qui se battent dans des conditions plus que précaires et sans jamais céder à la résignation.

En parallèle de ses réalisations, Rosine Mbakam a initié Caravane Cinéma, qui assure la diffusion de films africains dans des quartiers populaires de villes camerounaises.

Matthias Turcaud