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FRANK THIERRY LÉA MALLE, as du court-métrage...

Inception Arts & Com

... avant de devenir un as du long

Avant de se faire connaître par "Innocent(e)" et "L'Accord", Frank Thierry Léa Malle avait d'abord réalisé plusieurs courts-métrages qui dévoilaient déjà tout son immense talent.

Les quatre courts-métrages de Frank Thierry Léa Malle s'avèrent vraiment intéressants. Ils  témoignent déjà de ses (nombreuses) qualités, et permettent déjà d'identifier les thèmes de prédilection du réalisateur. Comme dans les longs-métrages à venir, dans ces courts-métrages, les femmes ont des rôles importants, et souvent principaux. "Point de vue" (2016) rend compte de la grande sensibilité du réalisateur, et de sa capacité à se mettre à la place d'autrui, ici d'une femme. Il s'agit aussi d'un plaidoyer pour l'égalité entre hommes et femmes, et d'une dénonciation de toutes les souffrances que les femmes endurent quotidiennement. On retrouvera la thématique du viol dans "Innocent(e)" tout comme dans "L'Accord". 


Bien que courts, ces quatre films s'avèrent très riches et denses. Ils interrogent le fonctionnement de la société camerounaise, et dénoncent les maux qui la gangrènent - à l'image de la corruption effrénée et maladive, qui peut avoir des conséquences très funestes dans "Angles" (2018). Ils montrent également l'appétence de Léa Malle pour le changement de point de vue - que ce soit dans le film qui porte ce nom, ou dans "Angles", notamment, qui s'apparente à une vraie enquête criminelle, à l'instar des deux longs-métrages du réalisateur.

"Mes Vampires" (2016), aussi, présente subtilement deux versions d'une même réalité. Dans "Hands", également, on a deux points de vue opposés sur l'immigration vers l'Europe, ici l'Allemagne. La coexistence de différents points de vue, et la recherche d'une ou plusieurs vérité(s) se retrouveront dans les deux longs-métrages de Léa Malle, "Innocent(e)" et "L'Accord". Très tôt, Léa Malle a prouvé son habileté à entremêler et à faire exister différents personnages, maîtrisant le genre du "film choral". Lorsque nous l'avions interviewé, Léa Malle nous confiait que cette technique lui avait été inspirée par la lecture des romans d'Alexandre Dumas. 


Celui des courts-métrages qui nous paraît le plus réussi est peut-être "Hands" (2017), au titre à la fois très significatif une fois qu'on a regardé le film, et très intrigant si on ne l'a pas encore vu. Produit par le Goethe-Institut de Yaoundé et FilmArche de Berlin, ce court-métrage pose beaucoup de questions au sujet du mirage de l'Europe et de la fuite des cerveaux. La protagoniste est une chirurgienne brillante qui a quitté son Cameroun natal pour travailler en Allemagne en tant qu'infirmière. Une séquence mémorable la montre à l'hôpital alors qu'elle vient de sauver le père d'une jeune Allemande désespérée - en l'absence d'un autre chirurgien -, et qu'on annonce que pendant ce temps-là, son père est mort, au Cameroun. Bien sûr, sans que ce soit dit, tout est dit : la jeune médecin a sauvé un père, mais ce n'est pas le sien. L'ironie est cruelle, et la séquence d'une puissance incroyable. 

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Un grand directeur d'acteurs

Comme nous le confirmeront encore davantage ses deux longs-métrages sortis, Frank Thierry Léa Malle s'impose comme un très bon directeur d'acteur, réussissant visiblement à tirer le meilleur des comédiens qu'il a choisis, se mettant aussi à la bonne distance pour bien les filmer.

Le casting d' "Angles" s'avère, par exemple, particulièrement convaincant. On y retrouve Virginie Ehana, qui joue aussi dans "Point de vue" comme dans "Mes Vampires", et sera l'inoubliable adjudante Joséphine Mbuntcha dans "Innocent(e)", ainsi que la drôlatique Tatiana Matip, ou encore Eshu, dans le rôle du conducteur du camion au visage très expressif. De même, on aimerait souligner encore la qualité de la prestation de Lucie Nang dans "Hands" dans le rôle de la jeune chirurgienne Mboe, et celle de Fabiola Mbesso dans "Mes Vampires". 

Matthias Turcaud