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Essais / Afrique

Mbembe, Fanon contemporain ou quand le racisme n'a plus de couleur

La Découverte Sommes-nous les Nègres du 21ème siècle ?

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Que distingue, en effet, le capitalisme tel que nous le vivons aujourd'hui, avec ses sous-emplois, ses licenciements, ses réseaux d'exploitation humaine, ses contrôles d'identité ou de faciès... de la traite Atlantique qui prit racine au 16ème siècle et se prolongea avec la colonisation ?

Une chose est sûre, de l'économie de traite des esclaves à notre quotidien, l'exploitation humaine se fait toujours par extraction brute. « Le capitalisme racial » nous dit Achille Mbembe, « est l'équivalent d'une vaste nécropole. Il repose sur le trafic des morts et des ossements humains. Evoquer et convoquer la mort exige que l'on sache disposer des restes ou des reliques du corps de ceux que l'on a tués en captant leur esprit. » (p. 201).

Le titre donne le ton. Détournant la fameuse Critique de la raison pure de Kant, Mbembe affirme que « ... l’histoire de la raison dans notre modernité est tout sauf ' pure '. » (lire son interview par Rue89 ici http://rue89.nouvelobs.com/2013/10/27/achille-mbembe-sous-proletaire-chinois-est-nouveau-negre-246880)

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Pour disséquer les sombres entrailles de cette raison nègre, Mbembe retrace la violence coloniale sous ses divers atours, dénonçant « le puits aux fantasmes » qui nourrit les clichés du Nègre colonial, érigeant un racisme qui « fabule que pour mieux exclure, pour mieux se refermer sur soi-même » (p.109), pour se protéger « en tenant le Noir à hauteur de sa mort. » (p.167). Si le lien entre passé et présent est parfois difficile à faire, le portrait que Mbembe dresse d'un Nègre chosifié, commodifié, dominé, écrasé, fantôme à genou invite forcément à réfléchir sur notre condition actuelle, avec l'espoir de « déchirer le voile d'hypocrisie et de mensonge dont sont revêtues les sociétés esclavagistes. » (p.79).

De sa plume acérée, que certains trouveront peut-être trop sinueuse et où d'autres y verront là un nouveau Fanon (héritage que l'auteur revendique par ailleurs), Achille Mbembe conclue avec force :

« Sur ce chemin, les nouveaux " damnés de la terre " sont ceux à qui est refusé le droit d'avoir des droits, ceux dont on estime qu'ils ne doivent pas bouger, ceux qui sont condamnés à vivre dans toutes sortes de structures d'enfermement - les camps, les centres de transit, les mille lieux de détention qui parsèment nos espaces juridiques et policiers. Ce sont les refoulés, les déportés, les expulsés, les clandestins et autres " sans-papiers " - ces intrus et ces rebuts de notre humanité dont nous avons hâte de nous débarrasser parce que nous estimons qu'entre eux et nous il n'y a rien qui vaille la peine d'être sauvé puisqu'ils nuisent fondamentalement à notre vie, à notre santé et à notre bien-être. Les nouveaux " damnés de la terre " sont le résultat d'un brutal travail de contrôle et de sélection dont les fondamentaux raciaux sont bien connus. » (p. 254).

 

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Critique de la raison nègre de Achille Mbembe

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Mais si nous sommes tous des Nègres, qu'est-ce que l'Afrique ?

L'on ne saurait conclure sans citer dans sa longueur la belle réflexion que Mbembe livre sur l'Afrique, une Afrique qui, encore sonnée par les échos du passé, n'a rien d'africain.

« Figure vivante de la dissemblance, le terme " Afrique " renvoie par conséquent à un monde à part, à ce dont nous ne sommes guère responsables; à ce avec quoi beaucoup de nos contemporains éprouvent de la difficulté à s'identifier. Monde accablé de dureté, de violence et de dévastation, l'Afrique serait le simulacre d'une force obscure et aveugle, murée dans un temps en quelque sorte pré-éthique, voire pré-politique. Elle est ce avec quoi il nous est difficile d'éprouver un lien d'affinité. (...) Faute de partager un monde commun, eux et nous, la politique africaine de notre monde ne peut guère être une politique du semblable. Elle ne saurait être qu'une politique de la différence à la politique du Bon Samaritain, celle qui se nourrit soit du sentiment de culpabilité, soit du ressentiment, soit de la pitié, mais jamais de la justice et de la responsabilité. On a beau dire, il n'y a guère, entre eux et nous, similitude en humanité. » (p. 81)

« S'agissant du terme " Afrique ", tout part effectivement de l'extraordinaire difficulté de produire une image vraie associable à un mot lui aussi vrai. Car peu importe en vérité le sujet qui parle ou qui s'exprime. Chaque fois qu'il est question d'Afrique, la correspondance entre les mots, les images et la chose importe peu, et il n'est pas nécessaire que le nom ait un répondant ou une chose réponde à son nom. (...)

Le nom " Afrique " renvoie donc non seulement à ce dont nul n'est censé répondre, mais encore à une sorte arbitraire primordial - cet arbitraire des désignations auxquelles rien en particulier ne semble devoir répondre sinon le préjugé inaugural dans sa régression infinie. En effet, lorsque l'on prononce le mot " Afrique ", l'on suppose toujours, de manière générale, une abdication foncière de responsabilité. C'est le concept de tort qui est évacué par principe. L'on présuppose en outre que le non-sens est compris, déjà là, dans le mot lui même. En d'autres termes, dire " l'Afrique " consiste donc, toujours, à bâtir des figures et des légendes - n'importe lesquelles - au-dessus d'un vide. » (p. 83)

Anaïs Angelo

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