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Le hip-hop africain et le phénomène Jovi

New Bell Music

Avec le Camerounais Jovi, le hip-hop africain redécouvre son identité.

Lorsque l’on regarde la scène hip-hop en Afrique francophone, on se rend rapidement compte qu’elle est en réalité, à quelques exceptions près (notamment au Sénégal), dominée par les rappeurs français ou américains du moment. Empruntant le nom d’un tambour, le tout nouveau collectif artistique et électronique BATUK arrive avec une intention claire, réussir à unifier des peuples différents derrière un langage, celui du rythme.

Si vous vous êtes promené dans les rues de presque n’importe quels quartiers populaires d’Afrique de l’Ouest, vous avez très probablement entendu plus de Booba ou de 2Pac, que de Art Melody (rappeur burkinabé), ou de Tata Pound (groupe de rap malien).

Et trop souvent les rappeurs africains, puisqu’ils ont vécu en France, ou puisque immergés exclusivement dans le bain musical offert par les quelques chaines spécialisées comme Trace ou Channel O, se limitent à un énième pastiche de ce qui se fait en occident… mais ça, c’était avant !

Jovi


Depuis quelques années maintenant, et grâce à des artistes comme le Camerounais Jovi (aka Le Monstre), on remarque que cette même scène hip-hop est actuellement en pleine ébullition, recyclant, adaptant ce rythme qui a fait le succès des États-Unis et des banlieues françaises, mais en brisant, sur le fond comme sur la forme, les normes, et les codes de ce genre, résorbant ainsi l’écart, parfois absurde, entre le message, et l’image.

Comment parler des problèmes de l’état des routes au Cameroun, avec un producteur qui veut que vous posiez dans le clip à côté d’un jet de location, avec une bouteille de champagne ? Et pourquoi importer les problèmes américains sur le sol africain ? Le sujet diffère, et ne pourrait être traité de la même manière d’un continent à un autre.

Jovi a bien compris que pour pouvoir s’imposer au-delà des frontières du Cameroun, mais aussi au-delà de ce blocage culturel induit par le matraquage systématique des hits venus de France ou d’Amérique, il doit être capable de fournir un produit de qualité au moins égal au standard de la scène hip-hop internationale : production carré, image et clips soignés dans les moindres détails. Ce n’est que de cette manière qu’il pourra réussir à assumer et revendiquer l’africanité de son message et de sa musique.

Et on peut dire que la méthode a marché, si ses premiers titres « Don4Kwat », ou « Pitié », basé sur le sample de l’illustre Tabu Ley Rochereau, l’ont propulsé sur le devant de la scène camerounaise, aujourd’hui, la moindre de ses sorties est un événement, au Cameroun, mais aussi partout en Afrique.

A voir, l’engouement massif autour de son titre « Et P8 Koi », sorte d’hymne d’une jeunesse africaine désabusée, parfois dépassée, mais toujours combative, qui a suscité des dizaines de remix sur tout le continent, dont certains ont propulsé leurs auteurs sur le devant de la scène, comme l’ivoirien Christ Carter, ou le togolais KanAa - et sa maison de disque New Bell Music est devenu une véritable pépinière de talent dépassant le simple registre hip-hop.

Alors que son deuxième album Mboko God est sorti il y a peine quelques mois, et que les différentes productions de New Bell Music sont couronnées de succès, au moment où l’on pourrait facilement s’imaginer que l’artiste aurait tendance à s’embourgeoiser, Jovi vient de dévoiler un nouvel EP Raps 2 Riches, dont est tiré « Zele » un titre qui derrière l’hommage à la star du bikutsi des années 90 Zélé le Bombardier et son pédalement, dresse, sans concession, une critique sociale et politique d’un Cameroun cisaillé par la galère et par les attaques lâches de Boko Haram, sur fond de rap âpre tressaillant sous les coups d’un beat monstrueux.



ZOOM

Raps 2 Riches, un retour aux sources minimaliste

Sur ce nouvel EP Raps 2 Riches, Jovi, ou plutôt devrais je dire Le Monstre, car je vais parler ici de son travail de producteur, semble vouloir revenir à une approche de la musique, et donc ici des instrus, plus… essentialistes.

Si sur son précèdent album, Mboko God, la musique était riche, dérivant souvent vers l’afropop avec un travail très précis sur les mélodies, beaucoup de détails et d’ornements, ici Le Monstre revient à ce qui fait l’essence de son hip-hop, un jeu de répétition entre le beat, la profondeur des basses, et les samples, dont émerge une ambiance globale laissant Jovi entrer en scène.

 

Rédigé par Aodren Pecnard