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IDRISSA OUEDRAOGO, à la fois local et universel

Le grand réalisateur burkinabé nous a quittés en février dernier et laisse derrière lui une œuvre immense.

Formé à Ouagadougou, Kiev puis Paris, Idrissa Ouedraogo a dédié quasiment tout son cinéma à son pays d'origine, le Burkina Faso.

Prolifique, Ouedraogo a réalisé neuf longs, une bonne dizaine de courts-métrages, et a de même travaillé pour la télévision - avec "Trois hommes, un village" ou "Kadi jolie", en plus, à partir des années 2000, de son activité de producteur, via sa maison des "Films de la Plaine". 

Des thèmes récurrents irriguent son œuvre, principalement en langue mooré : les amours interdites ou du moins un peu compliquées, le clivage entre ville et village, la famille et la fratrie, le manque d'emploi ainsi que les conditions de vie précaires, l'artisanat, l'amitié, la place des femmes à affirmer dans un contexte difficile, les rêves d'ascension souvent obérés, l'immigration, la résilience... 

 

Le souffle de la tragédie parcourt plus d'une fois ses intrigues - le code de l'honneur, un père et un fils épris de la même femme, le poids de la culpabilité -, mais, bien loin du misérabilisme associé souvent - trop vite - aux films venus d'Afrique, les longs et courts-métrages d'Idrissa Ouedraogo se révèlent souvent solaires, joyeux, optimistes.

Des amours balbutiantes, un conte raconté au coin du feu à un enfant lui aussi tout feu tout flammes, la dégustation d'une mangue bien mûre acquièrent une importance et une valeur décuplée, et apparaissent comme des moments de bonheur majuscule. L'humour est présent aussi dans son œuvre, à travers le personnage de Binta dans "Samba Traoré", qui bride son mari - plus petit qu'elle en taille - de manière très comique, et auquel l'irrésistible Irène Tassembedo prête ses traits.

Documentariste hors-pair et ambassadeur de choix d'un pays magnifique et méconnu hors d'Afrique, Idrissa Ouedraogo a simultanément été un grand raconteur d'histoires, parfois même en deux minutes, comme on peut s'en convaincre avec le bouleversant court-métrage "La mangue", qui, même sans paroles, nous relate une histoire aussi simple qu'émouvante.

 

Chez Ouedraogo, on apprécie beaucoup l'absence d'afféteries inutiles dans la mise en scène au profit de plan-séquences qui s'inféodent humblement à des comédiens non-professionnels qui respirent l'authenticité, comme à des histoires autant marquées localement que définitivement universelles et intemporelles - l'apanage des plus grands ! 

En bon cardiologue il a pris le pouls de son pays, et, en voyant ou revoyant ses films aujourd'hui, c'est toujours la même émotion, le même choc, le même émerveillement. 

On demeure presque bouche bée, en effet, devant la beauté inaltérée de ses films, devant leur grâce et leur profondeur jumelées. Très célébrée dans son pays et reconnue dans des festivals internationaux, son œuvre reste cependant encore trop confidentielle. Elle mériterait pourtant un grand succès international et "populaire" - au sens noble du mot.

Le besoin demeure grand aujourd'hui de se rappeler ce qui importe vraiment. Il s'agit non pas d'une vaine accumulation matérielle ou d'une triste recherche égotique et narcissique, mais, bien au contraire, de choses si simples, si essentielles aussi et, hélas, si oubliées : un rapport affirmé à une nature qu'il faut préserver, le rire sonore d'un enfant, le goût d'une mangue. Cela, les films d'Idrissa Ouedraogo nous le rappellent bellement. 

N'hésitons pas à mesurer pleinement l'étendue de son talent, tout comme l'importance de son impact pour éveiller des enthousiasmes prometteurs en Afrique, ainsi que pour changer, encore et encore, l'image du continent !

ZOOM

Un cinéaste engagé

Très concerné par des problématiques graves afférentes à l'Afrique, Idrissa Ouedraogo a réalisé des courts-métrages pour sensibiliser davantage encore vis-à-vis du sida par exemple.

Son superbe court-métrage "La mangue" est né d'une commande pour les 60 ans des Nations unies, au service de leur combat, et Ouedraogo a également contribué, entre autres, au film collectif sur le 11 septembre.

Son court-métrage, étonnamment comique, met en scène des jeunes burkinabés qui croient reconnaître Ben Laden à Ouaga ! 

Matthias Turcaud