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DUGA, LES CHAROGNARDS, un film-choc brillamment écrit

Se rappeler de ce qui compte vraiment...

Présenté au dernier Fespaco en compétition, Duga, les Charognards interpelle par un propos fort et percutant, sur la société, le vivre-ensemble et le sort réservé aux vivants comme aux morts.

Réalisateur aguerri et directeur de la Cinématographie Nationale du Burkina Faso, Abdoulaye Dao a, cette fois, assuré la mise en scène aux côtés d'Hervé Éric Lengani, habitué du documentaire, pour continuer à ausculter sans fard les maux de la société burkinabée. 

Il retrouve à cette occasion son fidèle scénariste Guy-Désiré Yaméogo, auteur, déjà, des séries "Quand les éléphants se battent" et "Vis-à-vis", ainsi que des films "Nous pas bouger" et "Une femme pas comme les autres". 


"Quand les éléphants se battent" parlait d'un coup d'état raté, "Une femme pas comme les autres" évoquait la polyandrie ; Duga, les Charognards creuse le même sillon, en interrogeant directement la société de son pays, et la raison de ses maux. 

Yaméogo s'attelle ici à nouveau à des sujets délicats, en racontant, d'une part, l'histoire d'un défunt qu'on peine à enterrer, et, de l'autre, celle d'un nouveau-né abandonné dans une décharge. 

Les deux récits, subtilement, se font écho ; nous confrontant aux défaillances administratives du Burkina Faso, au poids des communautés et des sectarismes, à la persistance - ou non - de certaines valeurs morales essentielles au sein d'une société dysfonctionnelle. 


Entre l'aide sociale, les représentants religieux et des jeunes rejetés, les êtres avec le plus de conscience morale ne seront peut-être pas ceux qu'on aurait crus. 

Sans lourdeur ni démonstration, Duga, les Charognards pose des questions fines. Dans un monde gangréné par la corruption, le chômage et les problèmes d'argent, quel rôle la morale revêt-elle encore ? 

Duga, les Charognards convainc ainsi par son scénario riche et profond, émouvant, dans laquelle aucune scène ne semble de trop. Entre autres séquences marquantes, on pourra en particulier retenir le moment lors duquel des bandits de grand chemin braquent la camionnette transportant le défunt. Lorsqu'il se rend compte de sa présence, le chef des voleurs se ravise brusquement, et va même jusqu'à donner de l'argent au chauffeur - montrant que certains, voire beaucoup, respectent davantage les morts que les vivants ! 

Un autre passage révèle les contradictions d'un représentant de l'église, pourtant officiellement garant de la morale chrétienne, rétif à enterrer feu l'orpailleur Pierre à cause d'un certificat de baptême absent. 

Avec simplicité, sans effets inutile ou larmoyant, Yaméogo arrive à trouver la scène juste. Le film contient aussi de l'humour, s'avère complexe ; saisit bien la vie. 

La mise en scène d'Abdoulaye Dao et d'Hervé Éric Lengani, sobre et maîtrisée, se met au service de ce scénario si bien construit et ambitieux ; faisant ressentir toute l'intensité émotionnelle des scènes, cultivant les plans-séquences. 

Les acteurs, eux, s'avèrent criants de justesse et de vérité. On pourra notamment se rappeler de Charles Wattara, très touchant dans le rôle de Rasmané, si attaché à enterrer dignement son ami et ancien collègue de travail décédé, malgré tous les écueils. 

Le film Duga, les Charognards a aussi pour mérite de donner à voir une région du Burkina Faso peu montrée, à savoir la ville de Boromo et ses environs. 

ZOOM

Charles Wattara, grand comédien burkinabé

Issu de l'école de théâtre de l'Union Nationale des Ensembles Dramatiques de Ouagadougou (UNEDO), Wattara a récolté de grands rôles sur les planches, avec lesquels il a pu déployer toute l'étendue de son talent. 

Il a brillé notamment sur scène en Archibald dans une version des "Nègres" de Jean Genet par Robert Wilson ; dans une mise en scène d' "Une saison au Congo" d'Aimé Césaire par Christian Schiaretti ; ou encore dirigé par Thierry Roisin, pour une adaptation de "La Tempête" de William Shakespeare.

En 2013, son travail a été salué par le prix du meilleur comédien, lors de la première édition des récompenses théâtrales Lompolo.

Wattara poursuit aujourd'hui une carrière de metteur en scène et de formateur, en plus de ses activités de comédien. 

Membre du CITO (le Carrefour international de théâtre de la capitale burkinabée), on le voit aussi beaucoup au cinéma - par exemple, dans "Super flics" d'Aminata Diallo Glez et Issa Traoré de Brahima, et dans "Julie et Roméo" de Boubakar Diallo. 

 

Matthias Turcaud