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Capitaine Thomas Sankara, il a osé inventer l'avenir de Christophe Cupelin

Un important travail d’archives remet en lumière les réalisations de la révolution burkinabée de 1983.

« On me demande où se trouve l’impérialisme ; regardez dans vos assiettes quand vous mangez. Les grains de riz, de maïs, de mils importés, c’est ça l’impérialisme, n’allez pas plus loin ». »

A l’heure où l’enquête sur l’assassinat du capitaine Thomas Sankara bat son plein au Burkina Faso après 27 ans d’omerta, c’est un documentaire complet et vivifiant qui nous est donné à voir en salles depuis deux semaines.

Réalisé par le Suisse Christophe Cupelin, tombé amoureux de ce pays ouest-africain en 1985 en pleine gouvernance sankariste, le film se base sur un merveilleux travail d’archives, permettant en 1h30 d’images de revivre les grands combats et réalisations du jeune militaire Thomas Sankara, arrivé au pouvoir par la force en août 1983.

La date mérite d’ailleurs précision : le 4 août 1983. Comment ne pas voir là une prémonition, en souvenir de cette nuit de 1789 où l’ancienne puissance coloniale abolissait le système féodal et les privilèges d’un autre temps…

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Thomas Sankara et Fidel Castro à la Havane en 1984.


Car c’est bien à cela que s’attèlera le séduisant Thomas Sankara dans un pays classé parmi les plus pauvres du monde et dominé par une élite étroitement liée à la France ; revendication d’idéaux révolutionnaires égalitaristes, positionnements anti-impérialistes et anti-néocolonialistes, restriction des droits des riches voltaïques (avant d’être renommé Burkina Faso - le pays des hommes intègres - en 1984, le pays s’appelle Haute-Volta), nationalisation de la terre, valorisation du travail agricole (le Président met régulièrement la main à la pâte comme le montrent plusieurs séquences), mise en place de Tribunaux populaires révolutionnaires pour juger les corrompus de l’ancien régime etc.

Ses actions ne s’arrêteront pas aux grands symboles révolutionnaires, elles se feront également réformes sociétales et économiques : implication de la société dans le cadre d’organisations de masse, campagnes de vaccinations nationales et développement de l’accès aux soins pour tous, scolarisation massive, revendication de l’égalité hommes femmes et soutien aux initiatives pour assurer aux femmes leur liberté (comment ne pas s'enthousiasmer devant ce discours de 1987 affirmant que « le mariage, s’il n’apporte rien à la société et s’il ne les rend pas heureuses, n’est pas indispensable et doit même être évité », cf livre de discours évoqué plus bas), sans parler de son combat écologique qu’il liera de tout temps à ses batailles pour plus de justice : « Le combat contre la désertification est un combat anti-impérialiste dans la mesure où nous savons que pour l’impérialisme l’exploitation des hommes est un acte tout à fait normal, a fortiori l’exploitation des forêts ».

Sankara-Ouagadougou-2014

Ouagadougou - Burkina Faso - 2014

Un visionnaire qui a su jouer de son charisme pour conquérir le peuple burkinabé et se faire le chantre d’une nouvelle gouvernance internationaliste, quelques vingt ans après la mort d’un de ces modèles, Ernesto Che Guevara, dont il affirme qu’« il nous appartient comme un patrimoine de tous les révolutionnaires ». Ses deux voyages à Cuba en 1984 et en 1986 témoignent de cet héritage, tout comme le slogan repris régulièrement « La patrie ou la mort, nous vaincrons », devise nationale cubaine.

Ce Che africain est d’ailleurs lui aussi jeune, sportif (on le voit jouer au basket, enjamber son vélo), artiste (guitariste), cohérent avec les valeurs qu’il proclame (il déclare ne posséder pratiquement rien, hormis une vieille voiture et une guitare, et se paie environ 230 euros par mois), intransigeant (il fait rapidement fermer les discothèques des grandes villes, jugées trop élitistes, pour les remplacer par des bals populaires ouverts et accessibles à tous), dérangeant (il sera l’un des rares leaders africains de l’époque à remettre en cause l’ordre mondial, dans un discours notamment célèbre où il appelle à ne pas payer la dette extérieure, reprenant là l’idée développée par Fidel Castro), voire même provocateur (ennuyé d’attendre l’aide promise, il n’hésite pas à « voler » un Boeing libyen à Kadhafi) ; homme de poigne qui a « osé inventer l’avenir » pour reprendre Christophe Cupelin, ce toujours avec le sourire, trait de personnalité saisissant dans le film.

28 ans après la mort de Thomas Sankara, la moitié de la population burkinabée a moins de 25 ans et n’a pas connu cette période politique inédite sur le continent. C’est tout l’avantage de ce film, qui donne à cerner un personnage hors normes que les années 80 auront vu éclore et que l’année 2014, au travers de la révolution des 30 et 31 octobre, aura fait renaître.

François Mitterrand disait de Sankara « qu’avec lui il n’est pas facile de dormir en paix » ; en sortant de la salle, nous ne pouvons que souhaiter que soient nombreuses les nuits blanches des grands dirigeants de ce monde, si cela signifie que l’esprit sankariste vit encore.


CAPITAINE THOMAS SANKARA de Christophe Cupelin


ZOOM

Thomas Sankara depuis sa mort

Taboue depuis le coup d’Etat du 15 octobre 1987 au cours duquel Thomas Sankara et douze de ses fidèles sont assassinés (et qui permit à son ancien ami et compagnon d’armes Blaise Compaoré de prendre le pouvoir), la mise à jour des causes réelles et des responsabilités dans sa mort sont depuis la révolution d’octobre 2014 des revendications majeures du peuple burkinabé ; sa dépouille a pour la première fois été exhumée en mai 2015 sur décision du Conseil national de Transition de l’époque, qui a confié l’enquête à un juge militaire.

Depuis toujours soupçonné, Blaise Compaoré pourrait se voir prochainement poursuivi, malgré son exil. Un ancien frère d’armes également, le général Gilbert Diendéré - bras droit de Compaoré tout au long de ses 27 ans au pouvoir, a été inculpé début décembre 2015 pour complicité dans cet assassinat.

Le début d’une longue procédure qui dévoilera peut-être un jour les responsabilités d’autres puissances, dont la France. Cette dernière, via l’Assemblée nationale, a à nouveau rejeté à l’été 2015 la demande d’ouverture d’une Commission d’enquête sur cette mort, souhaitée par le réseau international « Justice pour Sankara, Justice pour l’Afrique ». Un refus qui pour l’heure fait peser sur la seule justice burkinabée un fort espoir.

Pour aller plus loin, un excellent recueil des discours de Thomas Sankara a été publié et plusieurs fois réédité par l’éditeur Pathfinder, « Thomas Sankara parle. La révolution au Burkina Faso 1983-1987 ».

Le site du documentaire permet également d’accéder à différents documents numérisés et à une chronologie et bibliographie fort utiles.
http://www.capitainethomassankara.net

Enfin, pour garder le lien avec le présent, puisque les combats sankaristes sont appelés à perdurer, le mouvement civil du Balai citoyen, directement impliqué dans la révolution d’octobre 2014, se revendique héritier des pensées de Sankara. Leur page Facebook est régulièrement actualisée et leurs engagements nombreux.

Julia Dufour