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SI LOIN DE MA VIE de Monique Ilboudo

Le Serpent à Plumes

Quelque part en Afrique de l’Ouest, un jeune homme veut, à l’instar de toutes les autres jeunes personnes de ce monde, vivre sa vie.

Jean-Philippe a tout pour lui : pas de vocation, une grande appétence pour la vie, du bon sens, pas de croyances.

Enfant, son oncle lui a raconté que si on couche un poulet en lui disant « reste là, quand je reviens je t’égorge » le poulet ne bouge pas et attend, perclus de la fatalité de sa condition.

Dès lors, Jean-Philippe décide qu’il ne sera pas un poulet et refuse d’obéir aux lois tacites qui gouvernent les mœurs de la société où il a grandi. Il comprend qu’il est facile d’être immobilisé par le poids des injonctions sociales, des traditions et des tabous de son pays. Et lui veut s’émanciper, faire des choix, douter, être libre de s’enraciner où bon lui semble.

Sur sa route il croisera d’autres individus aux trajectoires et aux désirs de vie inspirants. Des personnes nées dans des pays où il est difficile de s’affranchir des carcans économiques et sociaux, mais qui néanmoins n’arrêtent jamais de grandir ni de se débrouiller pour s’en sortir.

Des personnes plus chanceuses, exploitant leurs positions de force. D’autres plus humbles, questionnant la légitimité de leurs actions. D’autres courageuses et battantes, qui lui donneront du cœur au ventre. Toutes les rencontres que Jean-Philippe va faire vont influer sur sa vie. Influer mais pas décider à sa place.

Il fréquentera aussi des organisations humanitaires qui, obéissant à des enjeux politiques, encouragent les Africains à rester chez eux plutôt qu’à aider les gens à s’informer, connaître les dangers de la migration et collectivement, rappeler aux pays du nord que la liberté de circulation vaut pour chacun. Les questionnements de Jean-Philippe sont porteurs d’une saine naïveté qui réinterroge des notions centrales et férocement actuelles : pourquoi certaines personnes sont dites expatriées quand d’autres sont dites migrantes ?


La richesse de ce roman, c’est cette fine frontière sur laquelle Monique Ilboudo fait marcher son personnage principal. Jean-Philippe va devenir homosexuel, un peu par calcul, un peu par affection, un peu par curiosité, un peu par esprit de désobéissance. C’est un choix mûrement réfléchi.

Il sait qu’en acceptant les avances d’Elgep, il va accéder à une vie plus confortable et moins précaire mais il va aussi perdre ses proches : l’homosexualité est toujours très mal perçue en Afrique de l’Ouest. Rien de facile dans cette décision, d’ailleurs Jean-Philippe sait par instinct que facilité et liberté n’ont rien à faire ensemble.

C’est un beau portrait de jeune homme qui nous est donné à lire, on y retrouve un peu de l’âme et de l’énergie de certains personnages d’Aya de Yopougon de Marguerite Abouet (Gallimard, 2005).

Monique Ilboudo nous fait voyager au cœur des infimes variations qui construisent les individus et la violence des normes, des institutions et des lois élaborées qui ferment le monde. Il n’y a aucun misérabilisme, aucun ennemi pointé du doigt mais un appel à la responsabilité de chacun à ne pas vivre comme un poulet qu’on va égorger.

ZOOM

Monique Ilboudo, avocate et militante des droits de l’Homme

Monique Ilboudo naît en 1959 à Ouagadougou.

Elle y obtient sa maîtrise en droit privé et poursuit ses études de droit à Paris.

De retour au Burkina Faso, elle mettra en place un Observatoire sur les conditions de vie des femmes, enseignera le droit à l’université, sera nommée Secrétaire d’Etat chargée de la promotion des Droits de l’Homme et Ministre de la promotion des droits humains et se consacrera à l’écriture.

Elle publiera entre autres « Le mal de peau » en 1990 et « Murekatete » en 2000.

 

Le blog Yekrik Yekrak

Matthias Turcaud