Films / angola

NAYOLA, vibrant plaidoyer pour un Angola pacifié

Urban Distribution

Trois femmes puissantes

Après avoir consacré un court-métrage au Cap-Vert, Ribeiro nous raconte une histoire qui se déroule dans un autre pays d'Afrique lusophone, en Angola, et nous offre un pur joyau.

Adapté de la pièce de théâtre "A Caixa Preta" (La Boîte Noire) de Jose Eduardo Agualusa et Mia Couto, Nayola s'impose comme un film très ambitieux et abouti, qui en dit long sur les tragédies vécues par l'Angola, tout en brossant le déchirant portrait de trois générations de femmes de la même famille. Le réalisateur portugais s'est emparé de la pièce de l'auteur angolais et de l'auteur mozambicain pour arriver à un résultat absolument époustouflant sur tous les plans - autant visuel, musical, qu'émotionnel et narratif. 


Le scénario du film s'avère subtil, et entremêle avec brio deux époques différentes. On y voit Nayola rechercher son mari en pleine guerre civile en 1995. Tout commence par un songe, où sous une forte pluie, apparaît un homme nu, poursuivi par des hommes lourdement armés. Pour échapper à ses assaillants, l'homme seul et sans défense, se débat comme il peut, crie, court désespérément, tombe, se redresse, mais finit par être touché par l'un des nombreux tirs de ces bourreaux avides de sang.

Ceci est en effet le songe fait par Nayola, femme seule, probablement veuve, mais porteuse de l'intraitable espoir que son mari tant aimé, parti à la guerre, vit encore, quelque part... L'endroit où s'effondra l'homme, connut peu après, une soudaine poussée d'un arbre grand et géant appelé « mulemba », tout l'espoir de la valeureuse et forte femme.

Nayola se met alors à rechercher son mari, dans le bruit confus et la tragédie cruelle des coups de feu, dans la perdition, dans la résistance désespérée du peuple, en somme, dans la terreur totale et absolue du peuple.

Elle interroge presque tout le monde, telle une épouse obstinée, obsédée par la conviction que son mari vit quelque part. Un jour, elle tombe sur un ancien combattant, qui fit probablement partie de la troupe où fut affecté son époux, pour combattre. Elle lui pose la question : « As-tu jamais combattu avec un camarade avec un œil vert et l'autre marron ? » L'homme rit et dit : « J'ai combattu avec des camarades aux yeux de toutes les couleurs. »

Nayola précise : « Il s'appelle Ekumbi. C'est mon mari. Ils disent qu'il a disparu au combat. Je le cherche depuis un an. Cette photo pourrait t'aider ? » Ne s'en souvenant pas, l'homme rétorque : « Si ça me revient, je te le dirai. » D'un regard abattu, Nayola lui demande : « Si tu voulais retrouver quelqu'un dans cette guerre, comment tu ferais ? » Il lui répond : « Je chercherais à rester en vie, Nayola. »

Puis un jour, sous le rythme mélancolique de la guitare qu'il jouait, quelque chose soudain revint à l'homme : « Lors d'une opération dans le nord, dans la zone de Soio, dans les champs de pétrole, notre peloton était encerclé après de lourds combats toute la nuit. Il y avait des blessés. Le soleil commençait à se lever et à dissiper la brume qui nous protégeait.

Il y avait un combattant nommé Venga. Il a lâché son arme, retiré son uniforme en souriant. Il avait l'air d'un fou... Il avait un beau sourire. Il s'est mis à courir dans la jungle, l'ennemi l'a poursuivi et on a pu s'enfuir. Et dans mon esprit, dans ma tête, je vois encore son regard. »

Alertée, Nayola lui demande : « Ce Venga, c'est mon Ekumbi ? » Il lui dit : « Nayola, oublie cet Ekumbi sur la photo. Si tu veux retrouver ton mari, cherche avec ton cœur. » L'homme meurt peu de temps après, lors d'un affrontement casuel, avec des soldats.


Seize ans plus tard, en 2011, sa fille Yara faire entendre sa voix contestataire par le biais d'un rap survolté et clandestin, puisque interdit par la police. Le titre de son album dévoile ses ambitions : "Pays nouveau" (Pais novo). A l'image de sa mère, Yara est une femme battante et non résignée, et elle n'aime rien tant que sa liberté, déclarant : "Avoir un horaire fixe, c'est comme avoir des poux."

Elle n'hésite pas à défier les forces de l'ordre, surtout quand elles se transforment en forces du désordre. L'on peut percevoir l'intensité et l'ampleur de son engagement pour une meilleure Angola quand elle rappe : « Je n'accepte pas de vivre dans un Pays qui au lieu de nous protéger, nous opprime... Je chante ma réalité, je mérite donc d'être punie ? Ma musique ne va pas loin, elle ne passe pas en radio ou à la télé. Je suis un être humain, un être vivant. » Déterminée à oeuvrer pour le changement de l'Angola, Yara veut faire prendre conscience à ses concitoyens des dysfonctionnements du pays et du gouvernement angolais. 

A l'instar de "Valse avec Bachir" d'Ari Folman, Nayola témoigne de la faculté du cinéma d'animation à rendre compte de tragédies contemporaines. Cependant, il ne se transforme pas pour autant en film didactique et théorique, puisqu'il s'avère extrêmement sensoriel, immersif, et émouvant. Il faut d'ailleurs saluer la justesse des trois portraits de femmes - Yala et Nayola sont des personnages à la fois très attachants et puissants, sans oublier la bouleversante grand-mère, qui dit tout son amour à travers un silence, un regard, une étreinte, ou en pliant consciencieusement les habits de sa petite-filles et en les mettant dans un sac. Il s'agit de trois très beaux portraits de femmes, à la fois valeureuses, admirables et criantes de vérité. Heureux hasard - à moins que ce soit une coïncidence voulue - le film sort d'ailleurs sur les écrans hexagonaux le 8 mars, journée internationale de la femme !

Le casting vocal très réussit permet aussi de bien rendre justice à ces trois magnifiques personnages. Elisângela Kadina Rita interprète Nayola, Vitoria Adelino Dias Soares prête sa voix à Lelena, et Feliciana Délcia Guia dite Meduza, découverte par le réalisateur sur YouTube, s'est glissée dans la peau de Yara, toutes trois avec beaucoup de justesse. Leur investissement se perçoit clairement, et participe grandement à la réussite du film.

Pour finir, n'oublions pas de préciser que le film s'apparente à un pur enchantement visuel. Ribeiro a vu les choses en grand, et a utilisé deux techniques d'animation différentes pour les deux époques respectives. Une animation traditionnelle retranscrit les épisodes survenus en 1995, mais, en revanche, pour 2011, le réalisateur a jeté son dévolu sur une animation en 3D réalisée par ordinateur. Cette alternance de deux techniques apporte beaucoup de relief et de singularité au film. Enfin, mentionnons aussi de belles idées de mise en scène, comme le hors-champ qui rend indirectement compte d'un évènement tragique vers la fin du long-métrage. 

Présenté au festival d'animation d'Annecy en 2022, Nayola a également obtenu en cette même année le prix du meilleur film d'animation au festival de Guadalajara au Mexique. On lui souhaite encore tout le succès et les nombreux spectateurs qu'il mérite !


Remerciements chaleureux à Calypso Le Guen

ZOOM

Le parcours intéressant de José Miguel Ribeiro

Après avoir étudié aux Beaux-Arts de Lisbonne, Ribeiro découvre le cinéma d'animation lors d'un stage à Rennes, et développe une forte passion pour cette forme d'art.

Pour Nayola, un projet qu'il porte depuis 2013 déjà (!), après que son producteur Jorge Antonio lui ait remis la pièce d'Agualusa et Couto, Ribeiro déclare qu'il a dû, selon ses propres termes, sortir de lui-même. Il se trouve en effet que son père avait combattu lors des guerres coloniales portugaises.

Or, Ribeiro voulait justement "entrer dans la société angolaise, dans sa culture, sa population, comprendre comment les Angolais avaient vécu cette guerre coloniale, comme ils l'appellent là-bas, la guerre de la libération, la guerre civile. Je voulais connaître l'histoire et l'évolution de ce pays du point de vue des Africains et non du point de vue des colons". Le réalisateur déclare encore : "Cela m'a pris beaucoup de temps pour sentir, ressentir les choses avant d'entrer dans les décisions artistiques et les diriger. Je voulais être à l'aise avec le thème, et le pays".

Pour en apprendre plus sur le conflit angolais de l'intérieur, Ribeiro a notamment lu l'ouvrage "Combater Duas Vezes" (Combattre deux fois) de Margarita Paredes, un "récit de femmes qui ont combattu durant la guerre d'Angola". 

Ben Kalamo, Matthias Turcaud