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Essais / Afrique

Français et africains ? Etre citoyen au temps de la décolonisation de Frederick Cooper

Payot Les possibles du passé : quand les leaders nationalistes imaginaient la décolonisation.

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Que s'est-il passé entre la colonisation et l'indépendance ?

La question que l'historien américain Frederick Cooper pose n'est pas de savoir si la décolonisation du continent africain fut réelle, amputée ou avortée. Il s'attache plutôt, dans ce livre novateur, à comprendre les idées qui ont fait la décolonisation, interrogeant le champ des possibles qui s'ouvrait, à la veille des années 1960, non sans efforts et âpres luttes, aux décideurs politiques français et africains.

Comme l'indique le titre du livre, c'est d'abord de citoyenneté qu'il s'agit. Imaginer une nouvelle citoyenneté à l'échelle franco-africaine apparut comme le défi des décolonisateurs : pour négocier la citoyenneté, il fallait négocier les droits et devoirs des individus et définir les frontières de leur société, de leur Etat.

Il ne s'agissait pas tant de redessiner des frontières géographiques que d'explorer de nouvelles frontières sociales, économiques et politiques.

Cooper montre justement que les frontières citoyennes de l'empire étaient bien loin d'être une évidence à l'heure de la décolonisation – de 1945 à 1960. L'empire français et ses autorités coloniales n'ont pas toujours imaginé une République « une et indivisible » sacrifiant la diversité de ses citoyens.

Frederick-Cooper-2014

 

 

 

 

Frederick Cooper est professeur d'histoire à
New York University.

D'abord publié aux Etats-Unis, son livre est paru en anglais sous le titre : Citizenship Between Empire and Nation : Remaking France and French Africa,
1945-1960.

La traduction française paraîtra en novembre 2014.

 

De même que les leaders nationalistes africains tels Félix Houphouët-Boigny, Léopold Sédar SenghorMamadou Dia, Modibo Keita ou Sékou Touré ne s'imaginaient pas nécessairement comme des « nationaux » ivoiriens, sénégalais, maliens ou guinéens mais ont tenté d'imaginer de « grands ensembles » fédérateurs.

En réalité, ce que nous appelons aujourd'hui « Etat », « nation », « Etat-nation » ou encore « nationalité » sont des concepts qui ont été forgés à coup de débats parlementaires et de négociations politiques. Loin d'être acquis, ils étaient alors en chantier. 

On relit donc ces années à travers les idées et l'imagination des hommes qui ont tenté de faire l'histoire : non pas comme des idéalistes naïfs et parfois déçus, mais comme des stratèges cherchant à donner forme à leurs idées et intérêts.

Les nationalistes africains sont dépeints en effet comme des maîtres en art politique qui surent frapper là où ça fait mal : en demandant à la France l'accès à la citoyenneté, ils ne demandaient pas la faveur du titre, mais les droits sociaux et économiques que suppose toute inclusion politique.

A quel prix les autorités françaises étaient-elles prêtes à maintenir la « grandeur » (coloniale) de la France ? Voilà qu'elles étaient acculées à un dilemme : résister, au risque d'exacerber l'impatience et la résistance de ses colonies ; ou se rendre... au risque de payer le prix fort de l'égalité sociale à l'échelle continentale !

Cooper nous offre ici un livre passionnant, d'une richesse historique accessible à tous – il est de ces historiens qui savent expliquer la complexité simplement – et qui fait réfléchir sur les pouvoirs des mots et des débats, leurs accomplissements... et leurs défaites.

Dans sa conclusion, c'est le Cooper citoyen qui parle, pour rappeler que quand nombre d'intellectuels et leaders politiques se refusent aujourd'hui à (re-)penser les questions d'identité et de citoyenneté au nom même de la République, il y a 50 ans à peine, les hommes politiques français et africains débattaient des voies possibles pour que la France préserve en son sein des populations diverses qui avaient néanmoins un objectif commun : égalité des droits sociaux et voix politiques.

Une brûlante question d'actualité surgit alors : qu'avons-nous fait de notre pouvoir d'imagination ?

Zoom

Un peu d'archives en images

L'Empire se transforme : discours du Général De Gaulle lors de l'ouverture de la 1ère session du Sénat de la Communauté, 1959
http://www.ina.fr/video/CAF89053221/ouverture-de-la-1ere-session-du-senat-de-la-communaute-video.html


Pas une mise en dépendance, ni une « union de cheval et de cavalier » : Houphouët-Boigny, la diplomatie internationale et la Communauté, 1959
http://www.ina.fr/video/CAF96064814/interview-de-felix-houphouet-boigny-video.html


La « bouderie » de Modibo Keita ? 1959
http://www.ina.fr/video/CAF97502323/interview-de-m-modibo-keita-video.html


Mamadou Dia, le défi déçu de l'indépendance de la Fédération du Mali et l'indépendance du Sénégal, 1960
http://www.ina.fr/video/CAF97504657/mamadou-dia-president-du-senegal-a-paris-video.html


Dakar : Premier anniversaire de l'indépendance, 1961

http://www.ina.fr/video/AFE85009051/a-dakar-le-premier-anniversaire-de-l-independance-video.html

Anaïs Angelo

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