Ejo ou l'avant et après génocide racontés par les femmes
La Cheminante Onze prénoms de femmes pour onze nouvelles qui disent comment hier hante l'existence des survivants, la reconquête pas à pas de la vie et de soi-même.
Après les textes essentiels de Scholastique Mukasonga, Boubacar Boris Diop, Eugène Ebodé ou encore Jean Hatzfeld, qui racontaient le génocide des Tutsis du Rwanda, voici Ejo, un recueil de nouvelles « qui réinvente l'avenir d'un pays meurtri ».
Rescapée des tueries de 1994 vivant désormais en France, Beata Umubyeyi Mairesse donne sa voix aux femmes qui ont traversé cette terrible parenthèse.
Ejo, écrit en français mais ponctué de mots en kinyarwanda, la langue maternelle de Beata Umubyeyi Mairesse, n'est pas un recueil de nouvelles du génocide comme cette dernière l'explique. « Il y est question de l'avant, l'ejo d'hier, ces années d'espoir et d'inquiétude mêlées, mais il s'agit surtout ici des jours d'après, l'ejo de demain, de la survivance ».
Ejo, le premier recueil de nouvelles de Beata Umubyeyi Mairesse, révèle une grande plume.
Point commun reliant tous les personnages, le génocide n'est jamais décrit en tant que tel mais se rappelle à la mémoire au détour de souvenirs, d'objets et reliques de gens aimés mais aussi à travers les séquelles physiques et psychiques de celles qui ont survécu. Et ce fantôme qui plane sur les vies modèle la parole pour exprimer l’innommable. La violence, la colère et la tristesse. La peur logée dans les ventres des années après.
Mais ce sont aussi les deux décennies précédant le génocide qui sont racontées par Beata Umubyeyi Mairesse. Si certaines dates funestes sont évoquées comme le massacre de 1973, la rafle des ibyitso d'octobre 1990 ou encore la création de la principale milice hutu fondée en 1992, l'Interahamwe, il s'agit de montrer l'incertitude grandissante et l'espérance inextinguible.
Dans ces nouvelles sans concession, rudes et tendres, révoltées et bienveillantes, pleine d'humour, il y a ainsi Agripine, jeune rescapée, qui habite désormais la Belgique, et qui tous les mois lors de ses menstrues revit l'agonie de sa mère. Confrontée aux clichés racistes sur son pays et à l'indifférence, sa seule amie lui rétorque : « Les gens ne supportent pas ton trop grand malheur. Non parce qu'ils sont saisis par l'horreur de ce que tu as traversé, mais parce qu'ils ne veulent pas admettre que leurs cicatrices, sur lesquelles ils passent des heures à chialer, sont toutes petites à côté des tiennes ».
On découvre aussi à la veille du génocide, Kansilda, médecin tutsi, qui passe ses journée à vacciner des nourrissons, s’inquiétant pour l'avenir de son enfant à venir ou encore le personnage de la religieuse française qui comme le souligne le titre ironique de la nouvelle (Sœur Anne-Ne vois-tu rien venir?) ne devine rien et s'extasie à son arrivée de cet éden pacifiste qu'est le Rwanda.
Et Blandine de conclure le recueil sur une tonalité amère : « Rares sont les morts – ou les vivants – qui sont parvenus à rester entiers dans ce pays. On s’éparpille. Les regrets prennent la poussière, oubliés sur les étagères par les tueurs déjà libérés. Les tués s’effritent, officiellement figés sur d’autres étagères. Les enfants demandent pardon pour des crimes qu’ils n’ont pas commis. Et les maximes éternelles peinent à dire ce nouveau système de rangement ».
Beata Umubyeyi Mairesse, une auteure franco-rwandaise à découvrir
Née en 1979 à Butare, Beata Umubyeyi Mairesse est adolescente quand surgit l’impensable dans sa vie avec le génocide des Tutsis.
Trois mois de survie et un départ pour la France avec pour seul bagage, sa passion pour la littérature.
Après des études supérieures dont Sciences-Po Lille et un DESS en développement et coopération internationale à la Sorbonne, elle intègre le monde des ONG et assure des missions aux quatre coins de la francophonie (Cameroun, Sénégal, Vietnam, Canada…).
Militante féministe, elle organise à Bordeaux où elle vit des rencontres autour de la littérature afro-caribéenne.
Sarah Gastel
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