Documentaires / niger

ZINDER, l'image comme discours social

Les Films du Balibari / Point du Jour / Tabou

Une jeunesse qui continue d'y croire, envers et contre tout

De retour à Zinder, sa ville natale, avec cette fois-ci une caméra et un micro, Aïcha Macky donne la parole aux jeunes désœuvrés de sa ville dans un documentaire qui transforme l'image en discours social.

Assis à l'arrière d'une moto, tenant à sa main un drapeau portant l'insigne de la croix
gammée d'Hitler, Bawo se dirige à son QG qu'il appelle affectueusement « palais ». Faire
flotter ce drapeau est pour lui l'expression d'une conquête de territoire, car c'est de cela qu'il s'agit dans ce documentaire d'Aïcha Macky.


Par ce symbole Nazi, la réalisatrice veut nous montrer dès l'ouverture, l'état d'esprit de sa chère Zinder natale. Dans ce documentaire, elle présente la vie des jeunes à Kara-Kara, l'un des quartiers de Zinder où vivaient auparavant les lépreux. Le quotidien des jeunes de Kara-Kara, marqué par une profonde violence, se résume par l'appartenance à des groupes de gang – dont le plus populaire est le gang 'Hitler'- dans une  société où la contrebande de l'essence devient la seule voie d'épanouissement. Entre les entreprises étrangères exploitant le pétrole et les promesses irréalisables des autorités publiques, la jeunesse de Kara-Kara à Zinder se retrouve livrée à elle-même et doit faire face à ce qu'elle appelle l' « injustice ».

Il y aussi Tudun James, un autre quartier de Zinder. Quartier où les prostituées ont érigé leur QG à elles. Ainsi donc Zinder nous confronte à différents gangs, ceux regroupant les garçons et ceux regroupant les jeunes prostituées, et partout c'est la même impression d'injustice et d'infériorité qui domine, celle aussi d'un avenir confisqué !


C'est à travers Bawo que l'on se promène dans cette ville du Niger. Ancien gangster du gang d'Hitler, Bawo s'aligne aux côtés de ces jeunes de Zinder qui ont quitté les gangs pour se frayer une voie plus honorable et s'assurer un avenir, à la fois pour eux et pour leur communauté. Mais, hélas, rien n'est simple à Zinder... Les politiciens nigériens qui bradent aux étrangers leur sous-sol, dans cette ville désertique où le pétrole représente la seule richesse, donnent déjà un très mauvais exemple aux plus jeunes. Le faux rêve vendu par des dirigeants politiques conduit les jeunes à choisir entre la contrebande et le dur travail des cailloux rocailleux dans les carrières artisanales.

Aïcha Macky ne propose pas un pessimisme unilatéral. Il y a aussi du bonheur à Zinder. Au-delà de cette misère qui enfonce la jeunesse dans un nihilisme total, la joie de vivre alimente elle aussi la vie de cette jeunesse de Zinder. Cette joie de vivre est un espoir pour un changement et un nouveau départ vers une réussite et un développement métaphorisé par Bawo. Symbole d'une jeunesse consciente.

Zinder est simplement une oeuvre forte et mémorable qui, au-delà du discours social d'engagement dans lequel elle s'inscrit, affiche une esthétique assumée et subtile. On se souviendra longtemps de ces métonymies frappantes d'une violence sociale inouïe présentée à travers des cicatrices corporelles ou les images d'une jeunesse au chômage vivant à côté de grandes multinationales pétrolières... cela n'empêchant pas ces jeunes de déclarer avec le sourire vouloir monter leurs propres entreprises afin de se prendre en charge eux-mêmes.

ZOOM

Une mise en scène inspirée et délicate

Qui connaît Aïcha Macky connaît ses plans panoramiques et ses balayages en contre-plongées très marquants.

A côté des balades immersives qui introduisent le spectateur dans cette ville racontée, Aicha Macky nous conquiert également par des gros plans sensationnels. Toujours à la quête d'émotions fortes, ces plans se marient aux jeux particuliers de lumières et pose le nom d'Aicha Macky sur le podium des grands documentaristes du cinéma africain moderne aux côtés de Suhaib Gasmelbari ou Namir Abdel Messeh. Les plans moyens filmant des femmes fumant face à la caméra nous hanteront longuement. 

Israël Nzila Mfumu