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LES FRASQUES D'EBINTO, ou la fin de l'insouciance

Monde Noir

La confusion des sentiments

Avec "Les Frasques d'Ebinto", Amadou Koné propose un récit d'apprentissage aussi bref que marquant et douloureux - dans lequel le narrateur comprend trop tard ses propres sentiments.

Avec Les Frasques d'Ebinto, Amadou Koné propose un inoubliable récit d'apprentissage. On s'y rend compte que certains apprentissages ne se font qu'au prix de très grandes douleurs. Le romancier ivoirien nous y montre également que, dans nos jeunes années, on manque souvent et cruellement de lucidité, et qu'on s'aveugle nous-mêmes, confondant par exemple l'objet de notre amour avec celui de notre ambition ou celui de nos désirs.

 

Tout en prenant la forme d'un récit, Les Frasques d'Ebinto n'a ainsi rien à envier à un traité de philosophie. Les enseignements que nous pouvons en tirer s'avèrent fort nombreux. À force d'être trop pressé, on risque de se brûler les ailes. Ou bien : l'ambition trop démesurée peut parfois se retourner contre nous-mêmes et nous laisser un arrière-goût amer bien difficile à supporter. Déçu d'avoir dû renoncer à ses projets de longues études et dû épouser Monique contre son gré, Ebinto devient un contremaître aigri et violent. Avec son épouse, il se montre souvent infect, mais ne semble même pas s'en rendre compte.

Le court roman s'apparente aussi à une tragédie, le protagoniste ne pouvant y échapper à la fatalité, et la vérité ne finissant par lui apparaître que très douloureusement. On peut penser aussi à « On ne badine pas avec l'amour » de Musset, l'insouciance cédant soudain la place au drame, sans transition presque. Ce changement brusque permet de bien interpeller le lecteur, et de le faire réagir.

Par sa simplicité et la limpidité de sa construction, la force de ses thématiques et de ses situations, ses personnages iconiques dans lesquels on peut facilement se reconnaître, Les Frasques d'Ebinto s'impose comme un récit mémorable et puissant. Ce n'est pas étonnant qu'il soit encore régulièrement au programme dans les pays d'Afrique francophone, notamment en Côte d'Ivoire. Il s'annonce également difficile d'oublier Ebinto, Muriel et Monique, une fois le livre lu. Ces figures continueront à vous hanter et à vous faire réfléchir même bien longtemps après avoir achevé la lecture.

ZOOM

Précocité et longévité

Précoce, Amadou Koné consacre déjà une pièce à la résistance à la conquête coloniale en Afrique, alors qu'il n'est qu'en classe de 4ème - "Samory de Bissandougou". 

En 3ème, il écrit un roman sur la traite négrière, "Kaméléfata ou les ennemis de la traite".

Passionné lui aussi de littérature et brillant à l'école, Ebinto ressemble en cela un peu à son créateur. Même si l'on connaît surtout Les Frasques d'Ebinto, l'oeuvre d'Amadou Koné ne peut se réduire à ce seul titre. Elle compte en effet plusieurs romans - parmi lesquels "Les Confessions d'un sorcier", "Les Coupeurs de têtes", ou encore "L'Oeuf du Monde" -, ainsi que de nombreuses pièces de théâtre - comme "Sa Sainteté le charlatan", "La Foi et le Pouvoir", ou "Les Canaris sont vides".

En plus de cela, Koné a également écrit des contes avec "Nuits du Passé" ainsi que des nouvelles avec "Les Liens". Depuis 1997, il enseigne la littérature, la culture et l'histoire africaines à l'université de Georgetown aux Etats-Unis. 

Matthias Turcaud