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" Foccart : Archives Ouvertes ", la Françafrique à livres ouverts

A la suite des communications de ce colloque, Africavivre revient, en quelques livres, sur l'histoire tortueuse des multiples visages de la Françafrique.

Les 26 et 27 mars 2015 s'est tenu le colloque " Foccart : Archives Ouvertes ", un titre intriguant qui porte le nom de celui que l'on appelle encore le Monsieur Afrique, et que ses collaborateurs surnommaient " le Chanoine " ou " le Bacille " : Jacques Foccart, Secrétaire Général des Affaires Africaines et Malgaches sous les présidences De Gaulle et Pompidou. 20 ans, donc, à la tête des fameux "réseaux" de la Françafrique.

Dans les années 1970 déjà, Jacques Foccart avait soigneusement organisé le transfert de ses archives aux archives nationales. C'était par devoir de mémoire, mais surtout comme geste ultime d'un éternel militant gaulliste (Jean-Pierre Bat). Ce sont désormais 400 mètres de cartons d'archives ouvertes à la curiosité tenace des chercheurs.


Jean-Pierre Bat : les réseaux Foccart, côté jardin et côté cour.

Comment Foccart tirait-il les ficelles de ses réseaux tentaculaires ? Ce n'était pas facile de répondre à la question, pour une raison simple mais significative : aucun organigramme du Secrétariat Général des Affaires Africaines et Malgaches n'a jamais existé. Pour découvrir donc le " système Foccart ", il faut lire le passionnant ouvrage de Jean-Pierre Bat, Le Syndrome Foccart : La Politique Française en Afrique de 1959 à nos jours (2012).

Au-delà du système, il y a l'homme. Bat rappelle qu'il n'est pas aisé non plus de tirer le portrait psychologique de Foccart, cet ancien résistant, formé par la clandestinité, aguerri au secret, passionné de parachutisme et pratiquant le tir chaque matin ou de temps à autre avec Raymond Sassia, formateur des gardes républicaines africaines…

Et pourtant, ces goûts révèlent un homme fidèle à l'esprit de corps, qui sut choisir ses collaborateurs avec soin, et entretenir ses réseaux avec amitié. Foccart était une machine à renseignements, confiant parfois le même dossier à plusieurs personnes sans qu'elles le sachent, recevant des quantités de notes et rapports qu'il lisait et arbitrait seul.

Il aimait les hommes discrets, qui n'en restaient pas moins influents. A découvrir, le dernier ouvrage de l'historien,La Fabrique des Barbouzes : Histoire des réseaux Foccart en Afrique (2015).

 

Jean-Pierre Chrétien, du Burundi au Rwanda, ce que la France n'a pas voulu voir.

On ne présente plus Jean-Pierre Chrétien, spécialiste de l'histoire de la région des Grands Lacs. Pour sa communication sur les archives Foccart, l'historien a ressorti ses notes d'archives pour rappeler le glaçant point de vue de la France face à un Burundi au bord du génocide en 1972. 

La France au Burundi, c'est d'abord la France aux limites de son pré-carré, d'ailleurs plutôt intéressée par le Congo - fief gaulliste - que par les Grands Lacs mais qui commencera néanmoins à s'implanter dans la région, notamment en soutenant le très contreversé Idi Amin Dada en Ouganda. La France se retrouve donc en compétition avec les autorités coloniales belges, une compétition que les nationalistes Burundais ne manqueront pas d'exploiter.

Alors qu'un nouveau gouvernement dit "modéré" dégage une aile présentée comme "extrémiste" en mars 1971, de premières exterminations ethniques ont lieu peu après.

L'ambassadeur français s'inquiète de la situation et transmet à ses supérieurs parisiens un rapport aussi clair qu'accablant sur la dangereuse situation qui pointe. Pas de réponse, ou si peu : Paris se dit "émue" des évènements. Jean-Pierre Chrétien souligne la division qui se creuse entre Paris et ses ambassadeurs, mais montre aussitôt que celle-ci est plus que ténue : l'ambassadeur français est vite rattrapé par le discours du réalisme économique et semble bien prompt à abandonner son ton alarmiste.

L'historien met à nu l'ambiguïté fondamentale des autorités françaises, aveuglées par une lecture aussi culturaliste que fataliste de la politique africaine, où les tensions ethniques sont perçues comme inévitables, et, de plus, acquises à la logique obsédante de la realpolitik, qui a pour maître mot, l'influence, régionale et internationale.

Jean-Pierre Chrétien, qui nous invite à relire ses ouvrages pour de plus fines analyses, conclut sur l'importance de l'éclairage historique de ce regard gaulliste au Burundi des années 1970 : comment ne pas y penser, vingt-ans avant le génocide du Rwanda ?



Frederic Grah-Mel : Il n'est pas facile d'écrire Houphouët

Le biographe du premier Président de la Côte d'Ivoire, Félix Houphoët-Boigny, revient sur son enquête de terrain. Il nous donne le récit de ses nombreux entretiens oraux : totalement inutiles et forts décevants. Pourquoi ?

Les gens ne veulent pas parler; se méfient; détestent silencieusement Houphouët et saisissent les entretiens pour le démolir; cherchent à se faire valoir… et, bien souvent, Grah-Mel était bien mieux informé que ses potentiels informateurs !

La biographie serait donc un genre honni en Afrique... Pour dépasser cet obstacle, l'historien retraça les nombreuses étapes de son voyage en quête d'archives à travers le monde (Côte d'Ivoire, Sénégal, Etats-Unis, France…) qui a duré 14 ans et lui a coûté quelques 67 000 euros, soit plus de 48 millions de Francs CFA à l'époque !

Car Houphouët était un homme d'envergure internationale et à la puissance tout aussi rayonnante - il est d'ailleurs le seul Africain à avoir été Ministre d'Etat (donc au plus près des décideurs Français) dans les années 1950.

L'imposante biographie de Grah-Mel (trois tomes) retrace par le menu la carrière du président, du berceau jusqu'au trône, du syndicalisme à une présidence qui durera près de 30 ans. En creux, le passionnant récit de la fabrique de la politique nationaliste en Côte d'Ivoire.


Pour aller plus loin...

Ce n'est là qu'un tout petit aspect des interventions du colloque sur les archives Foccart. Les autres interventions couvraient des sujets aussi vastes qu'intéressants.

On ne citera ici que quelques unes d'entre elles : l'institutionnalisation des archives en Afrique de l'Ouest, par Saliou Mbaye, l'importance des archives pour les comités d'enquête Vérité et Réconciliation en Afrique, par Adama Aly Pam, le portrait biographique de " Journiac, le Foccart de Giscard " par Pascal Geneste, la lecture très critique des politiques du Franc CFA et de politiques de développement à l'échelle afro-européenne par Olivier Feiertag et Guia Migani, ou encore l'histoire du service de renseignement de police, le SDECE, dans les années 1960, par Sébastien Laurent. Les actes du colloque seront publiés.

Pour plus d'information, rendez-vous sur le site des Archives Nationales de France; à lire également des articles et dossier sur Foccart publiés dans le journal Le Monde : http://www.lemonde.fr/afrique/article/2015/03/18/colloque-foccart-archives-ouvertes-1958-1974_4596287_3212.html.

ZOOM

La carte interactive des réseaux Foccart

Les chercheurs Jean-Pierre Bat et Vincent Hiribarren ont mis leurs forces en commun pour donner à voir, au moyen d'une carte interactive, les réseaux Foccart. Le résultat est aussi suprenant que passionnant.

La carte est en ligne sur le site de Vincent Hiribarren:
http://vincenthiribarren.com/dh/foccart/index.html

Hiribarren indique que" l'idée était de ne pas représenter la Françafrique sous la forme d'un organigramme classique, avec le Président français placé en haut d'une pyramide, mais plutôt de montrer l'imbrication des réseaux politiques liant Jacques Foccart avec une poignée d'agents secrets et de présidents africains. Ce type de réseau souligne le caractère compartimenté des relations personnelles entre Foccart et chaque président africain, de même qu'avec chaque agent secret."

La carte est accompagnée de notices explicatives pour chaque figure sur laquelle vous pouvez cliquer.

Anaïs Angelo